Sophie Binet secrétaire générale de la CGT,

 

“J’irai à Matignon avec un seul mot d’ordre : le retrait”

 

Dans son premier entretien avec les médias accordé à l’Humanité et publié le 3 avril, Sophie Binet, 41 ans, la première femme élue à la tête de la CGT depuis sa création en 1895, a tiré les premières leçons du 53è congrès et dit sa détermination à gagner le combat contre la réforme des retraites. Extraits. Entretien réalisé par Sébastien Crépel et Naïm Sakhi.

 

Sophie Binet : “C’est d’abord une grande fierté que la CGT soit capable d’élire une femme à sa direction. C’est une grande responsabilité sur mes épaules. Les congressistes ont envoyé un signal très fort aux travailleuses, aux militantes de tous horizons et aux syndiquées. Avec ce congrès un cap a été franchi. Il n’était plus possible de dire qu’on voulait qu’une femme dirige la CGT pour se retrouver, à la fin, avec un homme. Cette séquence a été malheureusement difficile, parfois violente pour Maryse Buisson. Je pense vraiment à elle, je souhaite que nous puissions travailler ensemble et je suis contente que Céline Verzeletti soit au bureau confédéral.

 

Question : votre candidature a été portée pour rassembler la CGT et éviter une fracture. Etes-vous prête à relever ce défi ?

 

SB : “Nous avons collectivement une obligation de résultat. La spécialité de la CGT, ce sont les luttes sociales. Et quand nous les menons, nous sommes capables de nous rassembler pour dépasser toutes les difficultés. Cela tombe bien, nous sommes engagés dans un bras de fer sur la réforme des retraites. Cette dynamique militante a permis de sortir de ce congrès avec une CGT rassemblée.

Loin d’être un slogan marketing, la culture des débats est notre ciment commun. La CGT fonctionne sans fraction ni tendance, elle a 128 derrière elle et porte l’essence du monde du travail. Elle a toujours su et vient de le démontrer, faire face aux difficultés, se rassembler et en sortir dans l’intérêt des travailleuses et des travailleurs. Les militants ne sont pas enfermés dans des cases, au contraire, les échanges sont libres et nous travaillons à trouver des points communs.

Durant les débats, l’ensemble des congressistes ont rappelé leur attachement à la CGT. C’est ce point qui permet de nous rassembler. Mais notre force réside aussi dans notre diversité, contrairement à d’autres centrales.

A la CGT il n’y a pas de majorité et de minorité. Notre démarche est de toujours chercher à rassembler le plus largement possible. De l’extérieur, ceux qui ne connaissent pas le monde syndical pensent que nos élections internes sont jouées d’avance parce que, en général elles se soldent par des scores très élevés. C’est tout le contraire, ces majorités larges résultent d’un travail long et passionnant.

Notre texte d’orientation a été adopté à 72,8% des voix. C’est un point d’appui solide, rendu possible par les amendements de nos syndicats. La direction sortante a eu l’intelligence de les entendre.”

 

Q : Durant le congrès les délégués ont donné l’impression de vouloir reprendre en mains les débats, en dehors des cadres confédéraux préétablis. Est-ce révélateur d’une demande de plus de dialogue dans la centrale ?

 

SB : “la CGT fonctionne par en bas. Cela s’est une fois de plus vérifié. Les congressistes ont pris le pouvoir. Ils avaient une grande exigence démocratique. Mais quand la violence s’invite sur certains points de tension, c’est inacceptable. Ces pratiques virilistes excluent les femmes des cadres militants. Cela étant dit, j’étais confiante dans notre CGT et dans la maturité de ses organisations qui ont décidé de mener ce congrès à bon port.

Soyons lucides par rapport aux attentes des jeunes générations : si la transparence et la démocratie ne restent que des slogans, la CGT se fera sans eux.

Je souligne aussi le respect des militants pour l’intervention de Marie Buisson, lors de l’ouverture du congrès. Elle a été bien applaudie. Lors de mon discours, j’ai tenu à saluer Marie Buisson, Philippe Martinez et Olivier Mateu (opposant dans la CGT à l’orientation de Philippe Martinez-NDLR). C’est un principe évident de respect. Les congressistes ont applaudi, ce qui démontre leur grande responsabilité.”

 

Q : On a parfois eu le sentiment d’un décalage entre les tensions du congrès et la popularité des syndicats dans la rue, l’unité de l’intersyndicale et de ses dirigeants. Cette unité va-t-elle perdurer ?

 

SB : “Oui. Les médias, le patronat et le gouvernement annoncent tous les jours la fin de l’intersyndicale, mais cette union des organisations contre la réforme des retraites démontre une confiance collective, une maturité et une détermination à gagner. Avec un seul mot d’ordre : le retrait.

Nous irons à Matignon dans cette optique. Cette unité très forte de l’intersyndicale est un acquis très important du bilan de Philippe Martinez. Enfin, si la CGT sort rassemblée de ce congrès c’est aussi grâce à Emmanuel Macron (rires) Je lui adresse mes grands remerciements : nous sommes soudés pour combattre sa politique, à commencer par sa réforme des retraites.

C’est notre priorité numéro un. Je suis convaincue que nous obtiendrons le retrait de cette réforme avant d’aller au bout du processus de RIP (référendum d’initiative partagée lancée par les parlementaires de gauche NDLR). Ce référendum est un étage supplémentaire dans la lutte. Mais notre point d’appui essentiel reste le rapport de force social. Cela passe par la grève et les manifestations. Nous appelons les salariés à les développer notamment le 6 avril, puis le 7 avril journée d’action dans la santé.”

 

Q : La CGT est une organisation implantée chez les salariés à l’emploi stable et statutaire. La syndicalisation des précaires reste un défi. Est-elle une priorité ?

 

SB : “Pendant notre congrès, j’ai relevé l’intervention de Laetitia Gomez, secrétaire générale de la CGT de l’intérim. Elle a rappelé que notre pays compte 800 000 intérimaires. Ils représentent près de 20% des ouvriers. La syndicalisation est centrale, bien que ce défi soit complexe. La CGT a déjà gagné des droits nouveaux pour les intérimaires même si les pratiques de dumping social permettent trop souvent de les contourner.

La syndicalisation des travailleuses et travailleurs de plateformes est aussi un enjeu des années à venir. Mais la transformation du salariat est à appréhender dans sa totalité. En se questionnant bien sûr sur la précarisation des ouvriers et la tertiarisation de l’économie mais aussi sur le chantier central des ingénieurs, cadres et techniciens. Ils pèsent pour près de 50% du salariat.

Si nous ne parvenons pas à les impliquer dans les luttes en partant de leurs revendications nous ne pourrons pas construire le rapport de force majoritaire. C’est indispensable  pour agir comme syndicat de classe dans les luttes sociales et comme syndicat de masse dans les élections professionnelles.

La CGT a perdu sa première place (aux mesures de la représentativité nationale-NDLR) du fait des votes dans les deuxième et troisième collèges (ceux des cadres, ingénieurs, agents de maîtrise- NDLR). Ce n’est pas la CFDT qui progresse puisqu’elle baisse au profit de la CFE-CGC mais bien la CGT qui n’a pas su s’adresser à ces salariés.

 

Q : L’élection d’une cadre à la tête de la CGT n’était pas évidente. Redoutez-vous un procès en non-représentation des travailleuses et travailleurs ?

 

SB : “Mon profil n’est pas entièrement une nouveauté. En réalité, l’élection de Philippe Martinez a déjà  constitué une forme de transition. C’est un technicien supérieur, il était secrétaire général chez Renault de son syndicat UFICT (union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens, le syndicat dont Sophie Binet est la secrétaire générale-NDLR). Mais c’est vrai : je n’ai pas le même vécu que les ouvriers ou les employés.

Les cadres ne doivent pas voler la parole des ouvriers, ce sera l’une de mes grandes préoccupations. Au contraire, je travaillerai à ce qu’ils soient davantage visibles dans le débat public : les ouvriers et les employés représentent la moitié du salariat et pourtant ils et elles sont absents des radars médiatiques. C’est pour cela que nous avons élu beaucoup d’ouvriers et d’employés dans la direction confédérale.

Le syndicalisme est un outil d’émancipation de classe dans les rapports sociaux à l’œuvre au travail. Le centre de gravité de la CGT ne va pas bouger. Je suis secrétaire générale de l’UGICT -je vais bien sûr passer la main dans les prochains  jours- les délégués m’ont élue en connaissance de cause. Le signal envoyé vers les ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise est évident.

Mais la CGT doit rester le premier syndicat chez les ouvriers et les employés, c’est sa marque de fabrique.”

 

Q : La démarche de la CGT vers d’autres mouvements, notamment écologistes, a été durement critiquée durant le congrès. Va-t-elle se poursuivre ?

 

SB : “Cela fera l’objet d’un débat de la direction. Et je ne prendrai aucune décision seule. Le document d’orientation traite des enjeux environnementaux, du rapport avec les ONG et les associations en rappelant que ces rapports doivent se nouer à partir des principes de la CGT.

Nous devons dépasser les contradictions entre le social et l’environnement en partant du travail. Ces luttes conjointes doivent partir de l’entreprise, de notre travail syndical au quotidien. Si nous ne transformons pas l’appareil productif, nous ne répondrons pas aux enjeux environnementaux.

C’est aussi très important de souligner que les amendements votés ont renforcé les orientations féministes du document d’orientation et notamment l’enjeu de lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail, dans la vie comme dans la CGT.

 

Q : Les congressistes ont insisté sur la nécessité d’un fonctionnement plus démocratique. Cela va-t-il conduire à des changements dans la vie de la CGT ?

 

SB : “Les syndiqués ont envoyé des messages forts, il faudra les prendre en compte. La démocratie est une pratique quotidienne. Ce congrès a révélé une culture commune du débat, toute commune opposition à toute forme de passage en force. Les désaccords doivent être exposés pour, ensemble, les dépasser. Le but n’est pas de réaliser une synthèse molle mais d’en appeler à notre intelligence collective.”

 

Interview à l’Humanite du mardi 04 04 2023

Sophie Binet secrétaire générale de la CGT :”J’irai à Matignon avec un seul mot d’ordre : le retrait”