Macron a beau multiplier les marathons pour convaincre les maires de l’aider dans sa tentative de cadrer le “grand débat national” il voudrait surtout que s’arrête la séquence des gilets jaunes : passons à autre chose, à un débat bien…policé et même balisé. On ne peut pas dire qu’il est en train de réussir. Une manif de ses soutiens a même été prévue.
L’acte X, après l’acte IX, a montré que la mobilisation est repartie à la hausse et la détermination intacte. On l’a vu à Toulon et dans le Var. L’opération diversion de Macron ne crée -et pas que chez les gilets jaunes- aucune illusion. Mieux, l’idée qu’il n’en sortira rien de ce “débat” est de plus en plus partagée, du moins dans les catégories populaires, une partie des classes moyennes qui entendent Macron répéter qu’il garde le cap de sa politique très libérale ! Il veut s’attaquer avant l’été à la casse de la fonction publique.
Il ne reviendra pas sur la suppression de l’ISF ni sur la baisse des APL, ni sur aucune des “réformes” qu’il a fait adopter (loi travail, privatisation de la SNCF…), il ne mentionne même pas dans ses quatre thèmes la transition écologique, ni la question du logement social, il ne veut pas de l’augmentation du SMIC, des minimas sociaux…A la rigueur une prime et encore pas pour tous et pas automatiquement renouvelable.
A moins que le mouvement populaire, celui des gilets jaunes et celui du mouvement social, en premier lieu syndical, se développe de concert autour de revendications qui leur sont communes et permanentes et qui n’auront que plus de chances d’aboutir.
Ce qui n’enlève rien à l’autonomie de chacun tout en donnant à tous une dynamique nouvelle, un rapport de forces d’une telle ampleur que Macron n’aura pas d’autre choix que d’en prendre acte et de revoir sa copie. Ou alors de redonner la parole au peuple.
Tout va bien dans le camp des riches
Il est suffisamment averti, fragilisé et minoritaire dans l’opinion pour comprendre que la crise sociale, écologique, démocratique qui se développe partout dans le monde -y compris dans les pays les plus riches- n’est pas un épiphénomène franco-français. Elle est l’expression d’une saine colère face à la réalité : une infime minorité de possédants cousus d’or (0,5 à 1% de la population) atteignant des records historiques de richesses -trois fois plus riches qu’en 2008- tandis que l’énorme majorité du peuple voit partout sa situation se détériorer et les inégalités se creuser. Et Macron lui dit qu’il vit au-dessus de ses moyens !
La réponse des gouvernements libéraux et socio-libéraux consiste à imposer aux peuples l’austérité tandis qu’ils tolèrent l’évasion fiscale des plus riches et la sous-imposition de leurs profits et patrimoines, comme viennent de le révéler les rapports d’Oxfam et d’Attac.
En annonçant la taxation de Google…à 3% d‘une partie de ses profits en France, le gouvernement est loin du compte. Certains diront “c’est un début…faîtes-leur confiance”. Non, justement on ne peut faire confiance à la moindre annonce destinée à désamorcer les luttes. Ils ont mis deux mois pour lâcher Ghosn, ils n’avaient pas assez d’éléments ! Les paradis fiscaux, ils laissent filer…puisque les autres pays ne font rien. Il ne faut pas compter sur eux pour se battre, ils n’en ont pas l’intention.
Opposer les peuples aux “élites” comme le fait l’extrême-droite, c’est masquer le contenu de classe de la crise qui oppose le capital mondialisé et financiarisé et les peuples tenus dans la dépendance des actionnaires qui décident des politiques des Etats à leur service. Il y a toujours des exploiteurs et des exploités. Agiter les peurs et les boucs émissaires, on sait où cela peut mener.
A ce propos, l’évolution de la pensée d’Etienne Chouard -qui n’a parlé que du RIC au Zénith de Toulon le 18/1/19- a de quoi interroger : il trouve que le RN “a basculé à gauche et qu’il est devenu anti-libéral sous l’influence de l’ultradroite” ! Pour Chouard, “ le danger c’est pas Le Pen…le fascisme c’est Hollande et Sarkozy…les possédants”...(1) On a un peu de mal à suivre de tels propos qui feraient du RN un rempart au danger fasciste !!! Ils sont pourtant très fiers d’avoir de nouveaux amis au pouvoir au Brésil, en osmose avec Trump qui pratique un protectionnisme sans nuance appuyé sur la finance, une religion évangélique d’Etat et le conservatisme le plus caricatural.
De son côté, la gauche réformiste propose de s’en tenir à une meilleure répartition des richesses sans s’attaquer aux pouvoirs des banques et des actionnaires qui ont la maîtrise de la finance, du crédit et de la monnaie. Obtenir des avancées bien sûr, mais les laisser au pouvoir ne réglera pas durablement les problèmes, quand on veut bien se souvenir des expériences qui ont été faites et qui sont en cours. Elles ont donné la déréglementation et l’austérité synonymes de précarité, de bas revenus et de privatisations.
Dès que la croissance s’essouffle -et on y est- les gouvernants libéraux, quels qu’ils soient, en reviennent à la baisse du coût du travail, donc des salaires, à la baisse des dépenses publiques, à la remise en cause de la sécurité sociale et des services publics. Pour le profit, tout va bien. Les capitalistes s’opposent sur la meilleure manière de garder le pouvoir et les privilèges qui s’y attachent. Ils peuvent même se faire la guerre. La preuve, c’est qu’il y en a.
C’est la domination du capital qui freine des quatre fers la transition écologique. Avec ses critères de rentabilité à court terme qu’imposent les marchés financiers par Union européenne, Etats, banques et institutions financières interposés. Les questions sociales sont logées à la même enseigne. Elles sont considérées par les libéraux comme des coûts ?
Les gilets jaunes ne s’y sont pas trompés : pouvoir d’achat et justice fiscale viennent en tête de leurs revendications les plus urgentes. Elles s’accompagnent d’exigences fortes en matière
de démocratie, de pluralisme, de libertés…La loi anti-casseurs, à l’initiative du groupe LR du Sénat est l’illustration d’une volonté de limiter la liberté de manifester et de durcir la répression. Pas vraiment un bon signal.
Pour leur part, les communistes qui sont, en toutes circonstances, aux côtés de celles et ceux qui luttent, ont décidé à leur congrès d’une campagne permanente sur le coût du capital et la démocratisation du pouvoir dans les entreprises et dans les territoires pour exiger des banques et des grands groupes qu’ils changent de comportement afin que l’argent soit utilisé en fonction de son utilité sociale, que les entreprises soient taxées en fonction de leurs politiques d’emploi, de formation, de salaires et que les PME aient accès à des prêts bancaires à très faible taux…(2)
De quoi nourrir le débat, à tous les niveaux et stimuler l’action constructive du plus grand nombre de citoyens(es) concernés par les enjeux que le mouvement des gilets jaunes a su porter depuis plus de deux mois. Au point d’ébranler sérieusement, par la sympathie qu’il a suscitée, un pouvoir politique qui se croyait tout permis. Mais qui est toujours là.La convergence de toutes les luttes sociales, inséparables de la transition écologique, peut donner un nouvel élan à l’ensemble du mouvement social dans cet affrontement contre les forces de l’argent et ceux qui les incarnent, pour que chaque famille puisse vivre dignement avec sa juste part des richesses produites. Et ses droits reconnus, non pas formellement mais…concrètement.
Victor Hugo n’écrivait-il pas que “l’enfer des pauvres fait le paradis des riches.” Il serait temps de revenir sur terre. Nous pouvons changer de cap si nous nous y mettons encore plus nombreux : il ne manque pas de grain à moudre !
René Fredon
PS : une info toute fraîche : de nombreux collectifs de gilets jaunes ont appelé mercredi 23/1 à se joindre à la grève générale lancée par la CGT pour le 5 février
(1)https://www.youtube.com/watch?v=b9mC_cCJXRo
(2) http://international.pcf.fr/sites/default/files/communistes_160119.pdf