Se replonger dans le rapport de la Chambre régionale des Comptes du 25 octobre 2015 relatif aux observations définitives consignées sur la gestion des années 2008 et suivantes, ne relève pas du plaisir macabre de trouver encore quelque chose de “croustillant” qui nous aurait échappé cinq ans auparavant. (2) http://www.tv83.info/2015/10/25/lhopital-sainte-musse-en-surendettement/
Nous sommes en période électorale et c’est d’avenir qu’il faut parler. Certes mais s’il est bien une question d’avenir au coeur des préoccupations populaires, dans un contexte d’insécurité sociale manifeste, c’est bien de l’avenir de la santé publique et de nos hôpitaux, de leur vocation, des moyens qu’on leur refuse, de leur état, de la souffrance des personnels, des conséquences sur les patients et sur la qualité des soins…qui font le quotidien de nos préoccupations.
Pour éclairer cet avenir, encore faut-il comprendre ce qui a pu se passer, hier, depuis le regroupement, en 1988, des hôpitaux de Toulon et La Seyne dans le Centre Hospitalier Intercommunal Toulon-La Seyne et de la création du nouvel hôpital de Sainte Musse en 2012, inauguré par l’ancien premier ministre François Fillon. Et quel en est l’impact sur l’avenir.
Il existe une source aussi précise que précieuse, c’est le rapport de la CRC (1) (https://www.ccomptes.fr/fr/documents/30994)qui permet de savoir dans le détail quelle était la situation financière avant, pendant et après la mise en service de Sainte-Musse. Sans l’existence de cette institution de contrôle de l’utilisation des fonds publics de tous les organismes publics, très difficile de pouvoir s’y retrouver.
Le citoyen comme le journaliste n’auraient aucun moyen d’analyser les comptes publics qui, théoriquement sont accessibles mais pratiquement seuls les services de l’Etat peuvent mobiliser les ordonnateurs et leurs services, ont la compétence pour juger de la conformité aux décisions prises et à leur légalité.
Certains pourront dire que depuis sa publication, en octobre 2015, bien des aspects mentionnés ont pu évoluer, voire n’être plus pertinents, les recommandations suivies à la lettre…etc. Sans doute mais les contrats en cours qui plombent l’endettement analysé dix ans auparavant, conservent leur échéance. Mieux vaut en être informé.
Que dit le rapport définitif ?
Dès la synthèse, l’accent avait été mis sur “les résultats déficitaires (qui) ont notablement réduit la capacité d’autofinancement de l’établissement, posant la question des possibilités d’investissement du CHITS pour les années à venir…”
“…Lors de la cession de la partie du site de Font-Pré à Bouygues, le centre hospitalier a fait le choix d’un appel à projets sans que la mise en concurrence ne puisse pleinement produire ses effets…le coût de construction du bâtiment a connu une réelle dérive depuis le deconcours de maîtrise d’oeuvre :125,58 Md’euros, jusqu’au décompte général des dépenses qui était à fin août 2014 : 307,98 Md’euros, (soit +82,4)… l’encours de la dette est ainsi passé de 52,6 début 2008 à 286,6 M d’euros à fin 2013 mettant gravement en cause l’indépendance financière et la capacité de remboursement de l’établissement. Dès 2020, en effet, ses ressources propres provenant des amortissements techniques ne couvriront plus le remboursement de la dette.
En outre, alors qu’elle en connaissait les risques, la direction de l’hôpital a, à compter de 2007, engagé l’établissement sur des positions spéculatives à haut risque, sur des durées longues (jusqu’en 2043)afin de réaliser des gains à très court terme. Ces constats caractérisent une stratégie de fuite en avant…”
Dès la page 4/82 de son rapport la CRC va se pencher sur les conséquences financières de ces emprunts toxiques conclus en connaissance de cause, dès 2007, certains renégociés en toute opacité sur les pénalités versées par l’hôpital, dissimulées aux instances de gouvernance. Les chiffres donnent le vertige.
La CRC appuie les orientations gouvernementales, elle ne porte pas de jugement sur le bien-fondé -ou non- qu’un hôpital ne vivant que d’argent public ait la possibilité de se procurer de l’argent sur les marchés financiers…privés, quitte à leur rembourser des intérêts colossaux payés par de l’argent public, elle en mesure seulement le coût et le résultat pour l’organisme public.
Au passage, on a là le mécanisme par lequel procède l’Etat libéral pour que les budgets publics participent légalement à l’enrichissement des banques privées, d’affaires ou de dépôts, censées nous garantir des crises et des arrangements entre amis de la finance.
La CRC va en faire la démonstration par le menu et l’on se demande comment il se fait que le président de l’Hôpital et celui du comité de surveillance, le président de TPM, Hubert Falco, n’aient reçu en 2015, que des recommandations, après un constat pareil ? Tout était donc irréversible ? Les contrats étaient exécutables. Le mal était fait.
Ils sont toujours aux manettes, jurant la main sur le coeur, qu’ils ne sont pas sortis du cadre légal, qu’ils ne se sont pas enrichis et ont beaucoup travaillé pour que cet hôpital voie le jour. La CRC n’a pas le pouvoir de sanction sur les personnes, elle analyse les documents de gestion, les situations, les causes, le contexte, les erreurs, les dissimulations, les détournements éventuels…leurs conséquences.
Dans le groupe des décideurs, au sommet de la construction d’un hôpital public devenu la référence départementale, il y a un étage pleinement engagé dans l’engrenage qui ne relève pas que du dysfonctionnement et du contexte : la crise des subprimes…cet élément, c’est le ministère de la Santé, l’Etat lui-même, représenté par l’ARS.
C’est elle qui veille aux orientations politiques mises en œuvre. Jusqu’en 2012 on est sous Sarkozy, Falco a été ministre, il est redevenu maire et président de TPM et du CHITS…que veut-on qu’il se passe ? Qu’il soit désavoué pour proximité avec Bouygues, Vinci, Véolia, Pizzorno, Eiffage et quelques autres ? Ce sont les meilleurs du monde !
Sarkozy avait succédé à Chirac et, dans le cadre du plan Hôpital 2007 la T2A, “tarification à l’activité” avait succédé à la dotation globale comme mode de financement unique pour le public comme pour le privé. Curieux : comme pour les retraites aujourd’hui ! On a eu beau faire le constat de ses effets pervers, d’avoir poussé à la sélection des activités et des patients, suscité de la fraude notamment, elle est toujours en place. Toujours aussi nocive et aussi contestée, toutes catégories professionnelles confondues à l’hôpital !
La T2A, c’est génial, on incite les établissements à faire du fric en choisissant les actes les plus rémunérateurs et les patients les mieux couverts. Et surtout en asphyxiant l’hôpital public. Le privé a encore gagné du terrain mais tout n’y va pas si bien pour autant, les personnels en savent quelque chose. Il n’est pas accessible à tout le monde. Son objectif, c’est la rentabilité pour l’actionnaire, pas le besoin social global à résoudre ! Pas de services d’urgences ou alors exceptionnels.
La droite rêvait de faire du Var “la Californie de l’Europe”, en y acceuillant, entre autres, 150 EHPAD pour occupants très solvables, ils y sont ou presque. Et l’on y fait des économies…coupables, parfois dramatiques.
Les cliniques privées ont dépassé la capacité des hôpitaux publics regroupés et privés de moyens. Certaines cliniques n’hésitent même plus à s’appeler :”Hôpital”! Alors qu’elles ne remplissent toujours pas les mêmes fonctions notamment sociales. Comme l’accueil de toute personne en danger ayant besoin de soins, sans aucune discrimination.
Exemple récent. Falco n’a pas hésité à proposer un terrain public à un groupe privé juste à côté de l’hôpital Sainte-Musse où l’on pousse le plus possible les patients vers l’ambulatoire tandis qu’on construit à quelques pas, un ensemble hospitalier privé comprenant un hôtel de santé du groupe Orpéa-Clinéa, de 200 lits de suite pour ceux qui pourront se les offrir avant ou après une “petite «opération. Merveilleuse complémentarité public-privé ! (3)
Mais c’est la médaille du mérite qu’il faut lui donner pour ce dernier mandat. Il n’y a pas que Macron qui est doué pour les affaires. Falco, il n’en a peut-être pas l’air mais il a déjà fait une belle carrière et ne donne pas l’impression de mener grand train de maison. Il a bien un frigo réservé au conseil départemental pour être sûr de se restaurer quand il a faim mais on ne va pas lui chipoter un sandwich et une vitel par-ci par là ? D’accord, sur le principe, ça se discute. Et même sérieusement.
Mais l’éco-quartier de Font-Pré, cadeau à Bouygues, 800 logements sur un terrain de l’hôpital vendu très en-dessous du marché, dit la CRC, la perte compensée par des emprunts toxiques dissimulés pour construire le nouvel hôpital, bien mauvaise affaire pour les finances de l’hôpital public ? Plus de 20 ans de surendettement à absorber. Qui va être sollicité : Falco ? Non les Toulonnais…sans s’en rendre compte !
Comment va-t-il nous expliquer qu’il n’augmentera pas nos impôts ? Ou plutôt…les taux ! Ce n’est pas la même chose.
Grand bâtisseur et grand gestionnaire ? Non, grand dilapideur du patrimoine foncier toulonnais aux intérêts privés nous rapprocherait de la réalité.
René Fredon
A suivre…
(1)
https://www.ccomptes.fr/fr/documents/30994
(2)
http://www.tv83.info/2015/10/25/lhopital-sainte-musse-en-surendettement/
(3) Les travaux de Pierre Ivorra, économiste, spécialiste des hôpitaux du Var, chroniqueur à l’Humanité m’ont beaucoup aidé et je l’en remercie