Plus le temps passe et plus la pandémie s’étend, nous donnant l’impression que l’on n’est pas prêt d’en voir la fin. On parle maintenant de trois mutants à la covid-19 : l’anglais, le sud-africain et le brésilien.
Fin mai 2020 les Etats-Unis atteignaient les 100 000 décès suivis par le Royaume-Uni 37 460, l’Italie 33 072, la France 28 596 et le Brésil 25 598. Deux confinements plus tard, à fin janvier 2021, ces mêmes pays avaient triplé, quadruplé voire décuplé les pertes en vies humaines et en contaminations au virus et, désormais, à ses variantes. (Voir tableau 1)
Par-delà les statistiques, comment ne pas se poser la question d’une impuissance de la plupart des Etats et notamment des pays “riches” face à une telle situation, malgré l’arrivée de vaccins qui ont fait se lever l’espoir d’un ralentissement de la pandémie avant sa maîtrise ? Espoir qui demeure malgré les aléas de leur livraison qui viennent s’ajouter à la défiance des populations envers des gouvernements qui sont eux-mêmes partagés sur la stratégie à mettre en oeuvre laquelle révèle les failles de leurs systèmes de santé publique soumises à des logiques financières sacrifiant les services publics
Comme l’illustrent chez nous, les dernières annonces faites “pour nous éviter un troisième reconfinement” alors que les ministres avaient passé la semaine à nous y préparer compte tenu des indicateurs sanitaires loin des hypothèses envisagées pour ne pas y recourir et gagner du temps !
S’il n’ y a pas de solution de court terme, clé en mains, au moins peut-on espérer une cohérence, dans les discours comme dans les actes, qui parte d’une réelle volonté de privilégier l’urgence sanitaire d’une crise multiple dont on ne saurait nier les interactions pour autant.
On est arrivé à un stade où les conséquences économiques et sociales pèsent de plus en plus lourdement sur le mental et la confiance des Français.es qui n’en peuvent plus de subir les conséquences de toutes sortes : inactivité forcée et absence de perspectives, suppressions massives d’emplois, baisse des salaires, chômage menaçant, pertes de recettes plus ou moins compensées, fermetures de lieux de culture et de sports loin d’être toujours justifiées, bars et restaurants en faillite, des jeunes privés de la moindre ressource pour financer leurs études, elles-mêmes amputées, des personnes âgées dont le confinement en EHPAD peut se révéler anxiogène, l’isolement en milieu rural posant d’innombrables problèmes…
Comment se projeter dans l’avenir quand le présent vous contraint et vous oppresse de plus en plus ? Vers quel monde et dans quel pays allons-nous vivre, nous qui sommes dans un pays développé ? Le “monde d’après” qu’on nous prépare et auquel aspirent celles et eux qui nous gouvernent n’est-il pas le retour à celui d’avant, en nous faisant à l’idée qu’il faudra peut-être vivre des années avec un virus non encore éradiqué ? Ce n’est guère euphorisant après qu’on nous ait dit, au tout début, que c’était une affaire de quelques mois.
Pas de quoi s’étonner de l’évolution d’une forte vague de scepticisme et même de stress de ne pas trouver une porte de sortie à ces restrictions à notre vie professionnelle, familiale et sociale. “Le danger est permanent, vite rentrez chez vous et n’en sortez que le moins possible…” Pas de courses “non essentielles”, pas de fêtes, mêmes familiales encore moins clandestines, pas de visites de nos malades, obsèques strictement encadrées et l’on nous dit “il va falloir durcir encore” ! Mais pas assez de tests, de vaccins et de soignants.
Le discours public a de plus en plus de mal à passer et à nous convaincre que “nous sommes tous dans le même bateau“. “La pandémie n’épargne personne…tous unis pour nous en débarrasser !” Cela paraît aller de soi, le bons sens même. Et puis par ailleurs, ne sommes-nous pas dépendants de ceux qui nous nourrissent à l’autre bout de la planète et n’avons-nous pas des intérêts communs à nous unir pour éloigner en urgence le désastre des changements climatiques qui ont très probablement un lien avec l’apparition de ce nouveau virus ?
Les transports aériens, hyper développés, n’ont-ils pas beaucoup fait pour la transmission des virus d’un continent à l’autre ? Sans parler de leur poids dans les émissions de CO2.
C’est l’ensemble de nos modes de vie, découlant de nos modes de production et de consommation, qu’il faut interroger. Ainsi que le sens même de l’économie : quelle finalité ? Productivité et consumérisme intensifs pour des intérêts privés ou coopération et partage des richesses, des pouvoirs et des savoirs au service de l’intérêt public, du local au global ?
Il serait opportun également de prendre en compte les moyens utilisés par les pays riches pour asseoir leur croissance économique au détriment des pays colonisés il y a peu de temps encore, dépendants à bien des égards. Une croissance aujourd’hui à l’arrêt..sauf en Chine.
La pandémie accentue fortement les inégalités
C’est à ces pays que pensait Antonio Guterres le secrétaire général de l’ONU à la conférence annuelle Nelson Mandela tenue en ligne en juillet 2020 sur le thème de l’explosion des inégalités durant la pandémie...”si nous naviguons tous dans le mêmes eaux, il est clair que certains sont dans des méga-yachts tandis que d’autres s’accrochent aux débris qui flottent.( 2)
Une évidence pour beaucoup, que contestent les tenants du libéralisme attachés ici à réduire les emplois aidés pour les jeunes, les APL, les logements sociaux qu’ils considèrent comme de l’assistanat à la charge des finances publiques. Ils soutiennent les plans sociaux qui consistent à supprimer des emplois sans contrôle.
Ils ferment aisément les yeux sur les cadeaux fiscaux accordés aux multinationales, ils tolèrent les paradis du même nom et laissent leurs actionnaires accumuler des profits indécents, y compris pendant la pandémie, tout en leur destinant des aides publiques sans en vérifier l’utilisation.
Il ne veulent pas voir le quotidien et la détresse dans les familles déjà sous le seuil de pauvreté qui se retrouvent encore plus dépourvues de ressources pour assurer le minimum de subsistance à leurs enfants. Nos cités populaires accueillent 40% de familles en situation sociale très dégradée. Elles n’en ont pas l’exclusivité.
La fondation abbé Pierre craint une explosion post-crise sanitaire des impayés de loyers et des expulsions.
La peur de basculer dans la précarité en même temps que la menace de la contamination par un virus dangereux, mine le moral de nombreuses catégories sociales qui ne voient toujours pas le bout du tunnel et qui doutent de l’efficacité d’un pouvoir hésitant qui se fait de plus en plus autoritaire -et même liberticide- s’en remettant à un seul homme pour prendre des décisions, avec en ligne de mire sa popularité en vue de…2022 !
On ne sera pas surpris qu’il n’ait pas eu l’idée de demander des comptes à l’un des plus grands laboratoires français au monde, Sanofi, qui a renoncé à sortir un vaccin et qui annonce 400 suppressions de postes de recherche et développement ! Tout en recevant chaque année entre 110 et 150 millions de crédits d’impôts ! Il est vrai qu’en 10 ans le nombre de ses chercheurs est passé de 6387 à 3905 (-40%).
Pas plus qu’E. Macron n’a eu l’idée de reprendre le contrôle de l’industrie privée du médicament pour en faire un pôle public. Médicaments et vaccins relevant des biens publics universels, comme l’ont proposé les parlementaires communistes dans les deux assemblées : “pas de fric sur la pandémie”!
Le discrédit de la parole publique dans un contexte national et international de crise extrême ne suffit pas à construire une alternative progressiste crédible. La désertion des urnes par près de la moitié des électeurs (ces) concerne aussi l’opposition de gauche et écologiste.
Que s’ouvre le débat sur un contenu transformateur avec les citoyens et que les luttes sociales se développent à la mesure des atteintes aux libertés, à la démocratie, à la justice sociale…et à la planète.
René Fredon
(1)
(2)
https://www.un.org/fr/coronavirus/tackling-inequality-new-social-contract-new-era