Nucléaire : pour un débat public…éclairé
Les arguments développés par l’ingénieur-physicien varois Hervé Guéret dans son essai (1) sur la place incontournable du nucléaire dans notre politique énergétique a suscité beaucoup d’intérêt.
Il s’agit, en effet, d’un sujet de première importance à court et à long terme : la France a les moyens de produire une quantité d’électricité suffisante et décarbonée pour satisfaire ses besoins industriels et domestiques. Pour ce faire, elle ne peut réduire et à fortiori se passer de l’énergie d’origine nucléaire.
Encore faut-il en convaincre la partie des citoyens qui, depuis des décennies, ont orienté leur action écologique en partie sur la sortie du nucléaire, mettant l’accent sur les risques que feraient courir aux populations et à leurs salariés les centrales nucléaires, sans compter la question pas encore résolue de l’enfouissement des déchets. Il y a des avancées sérieuses.
Il ne s’agit pas de se lancer des anathèmes face à une question de cette nature et de cette complexité scientifique difficile à simplifier. Ni de s’en tenir à une opinion définitive pour résoudre un problème aussi vital, pour aujourd’hui, demain et aprè-demain, qui détermine notre capacité à réduire les gaz à effet de serre liés à nos sources de production et de consommation hautement carbonées que sont le charbon et les hydrocarbures.
Le rapport du GIEC (2) est suffisamment alarmant pour qu’on le prenne au sérieux et que le gouvernement en tire les conséquences et s’en donne les moyens, pour ce qui le concerne.
Il ressort de la publicarion du 6è rapport rédigé par 234 scientifiques de 66 pays qui ont épluché plus de 14 000 études sur l’évolution du climat que les prévisions sont “pessimistes et alarmantes avec des conséquences extrêmes et irréversibles pour la planète, pour des siècles ou des millénaires” comme le reprennent les rédacteurs de “Vie publique”, l’organe officiel du gouvernement.
La température devrait augmenter de 1,5° d’ici 2030, 10 ans plus tôt qu’envisagé dans le précédent rapport. Parmi cinq scénarios, le plus pessimiste prévoit un réchauffement compris entre 3,3° et 5,7°C. Les accords de Paris tablaient sur l’objectif “d’être en dessous de +2° d’ici la prochaine COP” ce mois-ci. Objectif qui n’est d’ailleurs pas atteint. La tendance actuelle se situerait plutôt entre +4° et +5° selon le GIEC !
Le niveau des océans s’est élevé de 20 cm depuis un siècle, et le rythme de cette hausse s’est accéléré durant la dernière décennie avec la fonte des calottes glaciaires. D’après les prévisions, la mer pourrait gagner un mètre d’ici 2100 et deux mètres d’ici 2300, mais l’incertitude concernant les calottes laisse possible l’hypothèse d’une augmentation de deux mètres dès 2100.
Pour le groupe d’experts, il est acquis que le changement climatique multiplie par 150 les risques de canicule comme on en a vu dans des régions (Canada, Sibérie…) où ce phénomène inattendu s’est produit et a atteint un niveau exceptionnel
Bien entendu, ce réchauffement qui s’accélère est la conséquence des activités humaines en général. De nos modes de production, d’échanges ainsi que de nos modes de consommation voire de sur-consommation et d’émissions de CO2, proportionnelles aux moyens de subsistance et au mode de vie.
Pour ONU-info du 11 août (3) : Les objectifs climatiques ne seront pas atteints si l’énergie nucléaire est exclue, selon un rapport de la CEE-ONU.
“L’énergie nucléaire est une source d’énergie à faible teneur en carbone qui a permis d’éviter environ 74 Giga-tonnes d’émissions de CO2 au cours des 50 dernières années, soit près de deux ans d’émissions mondiales totales liées à l’énergie…Le temps presse pour transformer rapidement le système énergétique mondial, car les combustibles fossiles représentent encore plus de la moitié de la production d’électricité dans la région de la CEE-ONU”.
La France, l’une des pionnières du développement de la filière nucléaire dans le monde dispose d’un parc de 56 réacteurs qui lui permet de fournir l’électricité nécessaire aux besoins de notre économie et de tous les foyers, à un coût moins élevé que partout ailleurs. Même si la tendance s’inverse depuis la privatisation de sa distribution par des fournisseurs privés concurrents. Ce qui a eu l’effet inverse de celui annoncé, idem pour le gaz dont l’augmentation vient d’exploser en un an : +15% !!
Contrairement à tout bon sens et à l’intérêt national, le gouvernement, comme ses prédécesseurs, a entrepris de réduire la part du nucléaire au moment où les besoins en énergies non carbonées vont continuer à croître ! Il a décidé de privilégier des énergies dites renouvelables qui fonctionnent par intermittence et qui doivent recourir à d’autres énergies carbonées ? C’est incompatible avec ses promesses climatiques et environnementales ?
Il en est ainsi de la la loi-energie-et-climat-du 8 novembre 2019 qui entend développer les énergies renouvelables avec des projetss d’éoliennes en mer très ambitieux qui soulèvent la colère des pêcheurs et des habitants comme actuellement dans la baie de Saint-Brieuc…
Un rapport qui fait des vagues (4)
Le Haut Commissariat au Plan a produit le 23 mars un document signé de son président François Bayrou intitulé : “Electricité : le devoir de lucidité” qui entre dans le vif du sujet : “La substitution de sources d’énergie non carbonées aux sources d’énergie dépendant de carburants fossiles est donc une question centrale du débat énergétique.
Peut-on, parallèlement à l’augmentation de la consommation d’électricité, réduire drastiquement notre capacité de production d’électricité nucléaire, même avec la montée en puissance indispensable des énergies renouvelables ? Est-ce réaliste ? Comment ? Avec quelles conséquences ?”
La “note” met l’accent sur la contradiction entre une augmentation programmée considérable de l’électricité à produire (+40 à 45%) à l’horizon 2035 et la réduction drastique de la production d’énergie électrique d’origine nucléaire qui assure 71% de notre production d’électricité.
Soit une amputation de 30% de notre énergie électronucléaire “et une augmentation probable de la part d’électricité d’origine fossile au-delà des 8% actuels…”
En conclusion le rapport plaide pour “des investissements nouveaux dans notre réseau de centrales nucléaires”, simultanément avec “la gestion sûre et durable des résidus à durée de vie très longue”
Proche de l’Elysée, F. Bayrou a forcément été écouté. Sera-t-il entendu ? C’est une autre histoire qui dépend avant tout de la place qu’occupera cette question dans le débat public d’ores et déjà ouvert mais considérablement verrouillé par l’exécutif sous prétexte de la pandémie. Peu de leaders politiques abordent ce sujet assez clivant et pourtant central.
Le point de vue de Fabien Roussel
Ce n’est pas le cas de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et candidat communiste à la présidentielle. D’autant que ce n’est pas un positionnement nouveau et de circonstance. Interrogé par Le Point le 20 mai 2021 (5) il a réaffirmé son soutien à l’existence d’un parc nucléaire qui, avec les centrales hydrauliques, assure la production d’une électricité suffisante, peu chère, décarbonée et pilotable : “c’est pour cette raison que je suis favorable au maintien de l’énergie nucléaire en France. Une autre nécessité s’impose : la maîtrise publique de ce mode de production d’électricité. C’est à l’Etat d’assurer la sécurité et d’investir dans la recherche ainsi que dans le recyclage des déchets nucléaires...”
Fabien Roussel s’est également opposé à la mise à l’arrêt du programme Astrid, “un réacteur de 4ème génération dit à neutrons rapides qui est capable de consommer (en le tranformant en plutonium) non seulement le rare uranium 235 (1% du minerai) mais aussi le 238 (99% du minerai). Ces nouveaux réacteurs peuvent donc tirer du minerai uranium 100 fois plus d’énergie que nos centrales actuelles”, comme le précise Hervé Guéret au chapitre 8 de son essai (1). Ce projet devait être construit sur le site nucléaire de Marcoule dans le Gard. Un arrêt aux conséquences multiples et très négatives.
Fabien Roussel s’est également opposé à la fermeture programmée de 14 réacteurs d’ici 2035. “Je suis contre l’abandon des réacteurs nucléaires…il y a 3 millions de Français en situation de précarité énergétique. Le parc nucléaire répond à ces difficultés. De plus, les besoins en électricité vont aller croissant, avec les nouveaux usages comme la voiture électrique…Enfin, j’ajoute que notre ambition de réindustrialiser le pays nécessite une électricité peu chère. Nous avons tout pour ça en France…”
Tout en rappelant l’enjeu planétaire “L’important, à mes yeux, c’est l’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons…l’empreinte carbone de notre pays doit être nulle en 2050. Pour y parvenir, il nous faut réduire le plus possible l’utilisation des énergies fossiles. Nous devons sortir de cette ère. La crise climatique, ce n’est pas demain, c’est aujourd’hui, nous en subissons déjà les conséquences. Il y a urgence.“
Ce survol de l’état des lieux de la planète met en évidence la place du nucléaire dans la production de l’électricité qui ne peut que s’accroître et non être remplacée par des énergies renouvelables intermittentes et carbonées, coûteuses et gourmandes d’espaces.
Cela semble couler de source mais la mise à l’index du nucléaire civil pour les risques qui lui sont attribués et confondus, peut-être, avec la puissance dévastatrice des deux premières et seules bombes atomiques larguées sur les populations d’Hiroshima et de Nagasaki…après la capitulation allemande. Les questions de sécurité suscitent des doutes dans ce domaine et les conditions de sécurité ne seront jamais assez exigeantes.
Si l’enfouissement de résidus des centrales nucléaires pose un réel problème non encore résolu justifiant l’inquiétude, des progrès se dessinent (projet Astrid), les risques concernant l’exploitation des centrales nucléaires sont en voie d’être reconnus “pour un impact sanitaire et environnemental de l’énergie nucléaire, y compris celui des rayonnements, inférieur à celui d’autres activités déjà incluses dans la taxonomie au titre de la maîtrise de l’évolution climatique…” selon le rapport du Joint Research Center attaché à la commission européenne, cité par “Sauvons le climat”.
Cela ne clôt pas le débat plus nécessaire que jamais.
René Fredon
(1)
https://mail01.orange.fr/appsuite/#!&app=in8/office/preview
(2)
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf
(3)
https://news.un.org/fr/story/2021/08/1101562
(4)
https://www.gouvernement.fr/electricite-le-devoir-de-lucidite
(5)