Frédéric BOCCARA
Elle prend place à la sortie d’une intense mobilisation sociale sur les retraites, mais aussi à travers l’UE sur les salaires, au moment où se profile un nouveau tour de vis ultra-austéritaire, répressif et une possible crise financière.
Elle prend place après une expérience de masse où, durant la pandémie, tout le monde a expérimenté qu’une création monétaire massive, appuyant les entreprises peut avoir un effet considérable… Le problème est de faire comprendre que nous sommes en profondes difficultés ― inflation, poids de la dette, récession qui se profile, désindustrialisation, hyper-tension internationale ― parce qu’elle a finalement appuyé les profits et non l’emploi, la formation et les services publics. Les dirigeants européens, de la commission aux chefs d’Etat en passant par la BCE, veulent refermer ce « quoiqu’il en coûte », au motif ces crises. Ce faisant, ils vont les renforcer, décuplant l’austérité pour le social, l’emploi, les services publics, le potentiel d’efficacité tout en lâchant du lest pour le capital à chaque moment où ils craindront que la crise n’éclate pleinement. … Ceci, jusqu’où ? Difficile de le dire. Mais il est décisif d’alerter. Et donc d’éclairer, de faire comprendre. Pour mobiliser.
S’engage ainsi une nouvelle étape d’austérité. Macron se cache derrière l’Europe pour l’entamer et mobiliser pour le grand capital, tout particulièrement en récupérant l’aspiration écologique et à un autre monde, mais aussi en poussant son projet de flexibilisation massive du travail (« plein-emploi » néo-libéral) au nom des aspirations à un emploi pour toutes et tous.
Dans l’enchevêtrement des crises, les règles de la construction européenne actuelle mises en cause
La campagne se déroulera au moment où l’entremêlement des crises ― écologique, civilisationnelle, d’identités, et bien sûr sociale et économique ― amène une crise de la construction européenne et l’ouverture d’un débat dans l’UE sur de nouvelles règles et traités. Cet entremêlement des crises a conduit l’impérialisme étatsunien à se repositionner agressivement. Il contribue à fracturer le monde tandis que son dollar est de plus en plus mis en cause. Il y a absolument besoin d’une Europe non alignée et pacifique et l’Europe, comme la France, pourrait être un pivot avec le « sud global » où vit à présent la majorité de l’humanité.
Or, l’UE telle qu’elle fonctionne actuellement alimente ces crises. Les décisions de la BCE sont en train de la plonger en récession. L’UE elle-même est en crise : un changement de ses règles est à l’ordre du jour. Nous avons besoin de règles et d’institutions entre pays européens pour coopérer, pour financer ces coopérations et s’attaquer aux enjeux majeurs (climat, emploi, nouvelle industrialisation, culture, autre monde et autres relations avec le « sud global ») et non pas de règles de concurrence libre et non faussée.
L’Union Européenne vit aussi une crise démocratique et de représentation, accompagnée d’une exaspération sociale sur laquelle prospèrent toutes les extrêmes-droites.
La colère grandit ― emploi, services publics, pouvoir d’achat, industrie, délocalisations, concurrence anti-sociale avec l’Est, guerre. Cette colère ne doit pas être stérilisée, ni déviée. Elle peut se transformer en force pour changer l’Europe. N’écoutons pas les sirènes du découragement et du nationalisme, qui nous disent qu’on ne peut rien faire ! Bien au contraire, les peuples, notre peuple, s’interrogent comme jamais.
Cette campagne est aussi une opportunité pour poursuivre la bataille politique engagée dans le pays depuis la réorientation du PCF ― avec le 38ème congrès, puis la candidature de Fabien Roussel à la présidentielle ― et contribuer à installer notre projet de société dans le paysage politique et électoral. Notre originalité, c’est aussi d’avoir une vision radicale tout en proposant un chemin pour y arriver.
L’originalité communiste sur l’Europe, nous venons de la réaffirmer à notre congrès, c’est de proposer « une Europe union des peuples et des nations libres et solidaires, reposant sur la mise en commun des forces et des potentiels des différents pays qui la composent au service d’un modèle de progrès social, écologique, partagé, solidaire, d’émancipation démocratique, de coopération, de paix et de co-développement ».
L’entrée par « le social » est fondamental : nous voulons conquérir des pouvoirs sur l’argent, pour développer les services publics, les coopérations et récuser la concurrence libre et non faussée. Ceci aussi bien au sein de l’UE qu’avec le monde. Nous voulons une souveraineté populaire sur l’argent pour d’autres buts sociaux que l’Europe actuelle. C’est ce qui nous oppose au souverainisme, idée de droite, qui prétend qu’il faut avant tout un « État fort », qui sera au service du capital, et fait croire qu’il faudrait avant tout s’entendre avec notre bourgeoisie nationale ! Ni souverainisme national, ni fuite devant les sujets majeurs des moyens et des pouvoirs changement profond (au contraire des Verts et du PS). Mais pas non plus « renverser la table » et casser, à la Mélenchon, pour finir par ne pas faire grand-chose. Notre position est à la fois radicale et propose un chemin ! Il ne s’agit pas de laisser à d’autres ou dans la nature les électeurs qui, depuis la bataille contre le TCE, pour une autre Europe, puis le Front de Gauche, ont été sensibles à ce que nous avons développé, et à la bataille pédagogique sur la BCE effectuée à l’élection de 2012 grâce à notre apport.
L’originalité communiste c’est aussi d’affronter Macron sur sa récupération néolibérale des aspirations et des colères pour cacher les enjeux et orienter vers le capital. C’est de mener la bataille face à ses projets de fédéralisme renforcé accompagnés d’une austérité très dure pour le social et l’emploi, d’un appui financier accéléré au capital et au tournant vers une « économie de guerre », tout en « faisant de la mousse » sur l’écologie et la réindustrialisation.
Le PCF porte un projet sur l’Europe
Nous portons un projet original sur l’Europe. Un projet radical et émancipateur, de coopération ― et non de concurrence exacerbée ― de maîtrise démocratique et de mise en commun, au service d’un nouveau modèle social et écologique ambitieux. Une Europe de co-développement et non au service du marché et des profits, en phase avec l’orientation adoptée à notre 39ème congrès. Avec cette démarche nous pouvons construire des majorités sur des points importants de notre projet, comme notre proposition d’un fonds européen pour les services publics, démocratique et alimenté par la BCE.
D’où l’intérêt de députés européens, capables de s’opposer et de révéler, de mobiliser et de construire des rassemblements, voire des majorités.
Les européennes sont un enjeu très important pour donner à voir l’originalité communiste, notre projet mais aussi parce que les politiques européennes ont des effets très concrets : inflation attisée par la BCE, attaque contre les services publics (fret ferroviaire mis en cause par la commission européenne), austérité. Elles sont d’autant plus importantes que nous avons besoin de règles et d’institutions entre pays européens pour coopérer, pour financer ces coopérations et s’attaquer aux enjeux majeurs (climat, emploi, nouvelle industrialisation, culture, autre monde et autres relations avec le « sud global ») et non pas de règles de concurrence libre et non faussée.
Ce ne sera pas et ne doit pas être pour nous une bataille réduite à une bataille « d’image », mais une bataille de contenu précis et mobilisateur.
Il est d’autant plus nécessaire d’y avoir un candidat communiste que c’est une élection à la proportionnelle, dernière élection nationale avant les élections présidentielles, que la gauche est donnée avec plus de députés si les formations de la Nupes y vont séparément. Enfin, nous avons besoin de députés qui dévoilent, qui construisent des majorités partielles sur des sujets précis, qui sont un relais des luttes, mobilisent et aident les travailleurs à se rencontrer, se concerter.
Or une ligne stratégique persiste qui non seulement tend à opposer France et Europe ― alors que les deux sont traversées sur même enjeu, la domination du capital à combattre ― mais aussi donne à croire que nous ne pourrions rien faire. Nous avons d’ailleurs entendu certains dirigeants le dire quasiment ainsi au CN du PCF. Ce serait en outre un virage à 180 degrés vis à vis de notre électorat et des militants progressistes sur lesquels nous devons nous appuyer pour les mobiliser, et pour peser bien au-delà d’une conception électoraliste des élections.
L’entrée par « une France libre » n’emmène pas la bataille où il faudrait, alors que la question est : d’autres principes, d’autres règles en Europe.
Entrer dans la campagne européenne par le social
Nous devons imposer une « entrée par le social », dans la bataille européenne. Notre bataille doit donc être tendue vers cela : conquérir des pouvoirs sur l’argent pour d’autres coopérations, pour une nouvelle industrialisation, pour développer les services publics, pour l’emploi, le climat et la protection sociale et porter l’enjeu d’un autre monde.
On dit « c’est difficile » ? Mais c’est un processus politique. Une bataille. Il faut la commencer. IL y a un sens à donner : celui d’une autre Europe avec un but et un chemin.
En ce sens, notre proposition de Fonds européen est structurante. Elle doit avoir une place structurante dans la campagne, contrairement à la campagne européenne de 2019. Il est très important de faire connaître cette proposition à l’appui des luttes, contre les désespérances et pour combattre le souverainisme, illusion mortelle qui nourrit les nationalismes et détourne du combat face au capital comme de l’unité populaire nécessaire à travers l’Europe, et même le monde, pour d’autres pouvoirs et d’autres buts.
Au risque de répéter, il faut voir à quel point l’UE est en crise, à la fois les pays qui la composent et la construction européenne. Est donc à l’ordre du jour une remise à plat de ses règles. Au contraire de celles et ceux qui veulent désespérer, disant qu’il n’y aurait rien à faire rien à gagner, nous pouvons porter le fer et faire monter nos idées et avons une opportunité de mettre en cause de façon populaire le cœur financer la construction européenne, à savoir la BCE, sa politique et ses critères qui appuient le capital contre le social et l’écologie.
L’enjeu des européennes, c’est une bataille sociale de fond, pas une bataille de souveraineté nationale, mas de souveraineté populaire sur l’argent et sur les buts de son utilisation. Une bataille pour mobiliser, pas seulement pour un vote. Ce serait donc une erreur à la fois tactique (il ne s’agit pas d’élections présidentielles) et de fond que de prétendre que pour changer l’Europe il faut avant tout une « France libre », ou une « France forte et libre ». Ce serait fuir la bataille sur l’argent et sur le social. Changer l’Europe est notre projet. La résistance, la mobilisation et des propositions structurantes précises sont notre chemin, telles celle d’un Fonds européen démocratique et social pour les services publics, alimenté par la création monétaire de la BCE. Il est grand temps de la porter de façon populaire.
Nous voulons faire progresser l’exigence de « changer l’Europe pour répondre aux urgences sociales, climatiques, de paix et pour un monde de partage ».