Logement :”Une urgence humaine, sociale et économique”
L’intervention de Marianne Margaté, sénatrice communiste, lors du vote des crédits pour la cohésion des territoires le 1er décembre 2023
“Début 2021, madame Emmanuelle Wagron, alors ministre du logement, avait fixé l’objectif de 250 000 logements sociaux construits en 2 ans. En cette fin 2023, on est en passe de battre un record avec moins de 90 000 logements sociaux réellement construits.
Et votre projet de budget n’offre aucune perspective de réponse à cette urgence humaine, sociale et économique à cette exigence de dignité, à cette exigence de sécurité la plus essentielle, celle d’avoir un foyer pour soi et les siens, à ce respect d’un droit constitutionnel.
Et cette urgence, elle est là sous forme de chiffres que nous connaissons tous. J’en rappellerai quelques-uns :
330 000 personnes sans domicile fixe dont plus d’un millier d’enfants,
2,4 millions de ménages en attente d’un logement social,
4 millions de mal logés,
15 millions de personnes touchées par la crise du logement,
Et combien de femmes victimes de violences renonçant à quitter leur bourreau faute d’abri pour elles et leurs enfants ?
Mais les chiffres sont froids.
Que disent- ils des vies de nos concitoyens ?
Que disent-ils de la détresse, de la résignation, de la colère, du sentiment d’exclusion ?
Que disent-ils de ce ressentiment qu’il n’y pas place pour tout le monde dans ce pays qui refuse de garantir pour tous, pour chacun et chacune, l’essentiel ?
Que disent ces chiffres de l’angoisse de ne pas y arriver lorsque le loyer pèse de plus en plus lourd dans le budget près de 35%, jusqu’à 40% pour les plus modestes voire 50% pour les étudiants. Cette dépense contrainte qui contribue à la paupérisation de nos concitoyens.
Que disent-ils de ces projets avortés pour ces ménages qui rêvent d’accession sociale à la propriété ?
C’est toute la chaine du logement qui est bloquée, verrouillée avec comme conséquence, l’effondrement du secteur du batiment et de ses emplois.
Une chaine bloquée aux entrants comme aux sortants, une chaine bloquée pour des millions de nos concitoyens.
Ce projet n’offre donc aucune perspective de changement.
Comment pourrait-il en être autrement quand votre seul objectif est de contraindre les dépenses publiques dans le secteur du logement, dépenses jugées trop élevées par rapport aux autres pays de l’OCDE ?
Contraindre d’une main et, de l’autre, faire supporter la charge aux bailleurs comme aux collectivités, à qui l’Etat ne compense pas les exonération de TFPB, tout en préservant les intérêts des plus favorisés par une fiscalité toujours beaucoup trop incitative et trop couteuse.
En effet, tout le monde n’est pas concerné par cette crise. Certains d’ailleurs en tirent un certain profit.
3,5% des ménages possèdent 50% des logements en location et les multipropriétaires continuent de prospérer, profitant de la hausse des loyers et des prix de l’immobilier, qui rendent l’accès à la propriété de plus en plus lointain pour la majorité de nos concitoyens.
Ce n’est pas à l’Etat de financer ces hausses de prix par des crédits d’impôts, et nous portons avec notre groupe la volonté d’encadrer les plus values de vente, ainsi que les loyers.
Ceux qui en profitent ce sont également les marchands de sommeil qui voient venir à eux des cohortes d’échoués du logement inaccessible.
La réponse est, en grande partie, dans le logement social et donc dans un soutien massif aux bailleurs sociaux.
Pourtant, chaque année, la RLS (Réduction de loyer de solidarité) ampute le budget des bailleurs sociaux de 1,3 milliards d’euros. Quel tour de passe-passe !
Avec la RLS, ce sont les locataires eux-mêmes qui financent l’APL par leurs loyers, seule source de financement des bailleurs. Contributeurs pénalisés car le bailleur est amputé dans sa capacité à construire, à entretenir son patrimoine, à adapter le logement au vieillissement des locataires, à améliorer la gestion de proximité et à rénover, conduisant à dégrader la qualité de vie dans le logement.
Quant à la rénovation pour lutter contre la précarité énergétique, c’est un véritable enjeu environnemental, financier, sanitaire et social. Les passoires thermiques vont être interdites en 2025 et 2028 et les moyens pour accompagner les bailleurs privés comme publics sont insuffisants.
Si rien n’est fait, ce sont 5,2 millions de logements classés F ou G pouvant potentiellement être mis en location qui seront sortis du marché.
C’est un changement de modèle parce que ce projet de budget confirme l’abandon du modèle généraliste français qui garantit un logement abordable et durable pour tous vers un modèle résiduel, réservé aux plus pauvres.
C’est l’abandon de la solidarité nationale pour aller vers les investisseurs et l’auto financement des bailleurs, qui doivent être toujours plus gros, toujours plus puissants financièrement, toujours plus déconnectés des territoires.
En audition, vous nous invitiez à rêver, monsieur le Ministre, à rêver pour définir le modèle français du logement dans le cadre du projet de loi à venir.
Vous nous invitez à rêver pour mieux nous endormir. Mais n’en doutez, nous resterons éveillés.”