L’annonce brutale par le ministre du budget et des comptes publics du “plan de départs volontaires” dans la fonction publique a fait l’effet d’une bombe. On savait que Macron avait dans son programme la réduction des emplois publics et, à terme, la fin du statut de la fonction publique et de ses garanties pour les fonctionnaires.
Il a tenu à enfoncer le clou devant les caméras en rappelant que ce statut date du 19 octobre 1946 et que c’est Maurice Thorez qui en était à l’initiative…oubliant de préciser : “sous l’autorité du Général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire”.
Pensez-donc, un communiste qui marquerait encore notre histoire sociale et le statut éminemment progressiste de la fonction publique, les garanties et les protections sociales de 5,6 millions de salariés (20% du total des emplois). Insupportable aux yeux de nos libéraux qui ne rêvent que de les remplacer par des contractuels et d’instaurer le salaire au “mérite”.
Le moment serait venu d’exaucer les voeux de Denis Kessler (n°2 du patronat) exprimés en 2007 dans le journal “Challenges”juste après l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée “de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance…Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !”
Et cela au moment où se révèle justement l’insuffisance criante partout de personnels dans les Hôpitaux publics, la santé en général, les EHPAD (voir la toute récente mobilisation), l’Education (à tous les niveaux), la protection sociale, la sécurité, la police, la justice ( la grève des personnels des prisons), la défense, les transports, le logement social, le contrôle des prix, des normes sanitaires et environnementales…
Une urgence telle que 8 des 9 organisations syndicales de fonctionnaires venaient d’adresser un courrier au gouvernement pour que s’ouvre une concertation débouchant sur un plan de titularisation des contractuels !
On a même entendu, “au 20 h”, Eric Woerth des LR rappeler que “120 000…ce n’était pas assez audacieux, il fallait multiplier par trois “!!
Le fond comme la méthode ne passent pas. Et ce ne sont pas les experts nommé par E. Philippe qui vont rassurer. D’autant plus que l’organisme d’analyse, d’évaluation, de propositions, France-Stratégie (qui n’est pas un repère de révolutionnaires)…crée en 2013 et rattaché au…Premier ministre a produit un rapport (1) en décembre 2017 qui tend à démontrer que la France n’est pas sur-administrée.
Avec 88,5 emplois pour 1 000 habitants elle se situe encore dans la partie supérieure du classement international, largement devancée par des pays comme le Canada , la Finlande, la Suède, le Danemark et la Norvège (158,8 °/°°). La part des dépenses des rémunérations publiques y est stable depuis 2000, à 13% du PIB. La Grèce, la Belgique et la Suède sont à 12%, la Finlande, la Norvège et le Danemark entre 14 et 16%, les Etats-Unis, l’Italie à 10%.
Nulle part on ne trouve d’éléments alarmistes qui iraient dans le sens des arguments jetés en pâture par le gouvernement pressé d’en découdre pour des raisons strictement politiques : dynamiter la fonction publique et son statut, donc la discréditer !
Rappelons que France-Stratégie dont les attributions ont été renforcées par le décret du 24 mars 2017 ” officialise la modification de la dénomination du Commissariat général à la stratégie et à la prospective,désormais désigné “France Stratégie…qui est l’héritière du Commissariat général au Plan fondé en 1946″…peut-on lire dans Vie publique du 4/8/2017 (2)
Détail croustillant, en janvier 2017, Macron avait débauché le président de France-Stratégie, Jean Pisani-Ferry pour élaborer son programme dans son équipe de campagne.
Dès octobre 2017, E. Philippe annonçait qu’il allait mettre sous tutelle l’organisme officiel “pour qu’il travaille sur nos réformes plutôt que sur des idées farfelues…”
Pourtant Le Figaro-économie du 21/12/17 titrait : “Le nombre de fonctionnaires n’est pas excessif selon France-Stratégie” et écrivait, visiblement à contre-coeur, que “la France sous-traitait moins de services publics que ses voisins européens”…moitié moins qu’au Royaume-Uni par exemple. Pays où l’emploi public a régressé d’un tiers en 20 ans alors que la tendance c’est une progression partout mais à des rythmes différents.
Le Premier ministre -dont dépend cette institution- s’est empressé de nommer d’autres experts pour leur faire dire “l’urgence et la pertinence” (?) de procéder aux basses oeuvres visant à en finir avec le modèle social français qui résiste encore parce que les Français voient bien, au quotidien, qu’il manque partout des emplois publics en même temps que le pouvoir leur dit “qu’il faut en supprimer pour réduire la dépense publique” !
Leur objectif : réduire de 60 milliards en 5 ans les dépenses publiques dont 25 milliards rien que sur la fonction publique d’Etat !
Le cynisme consiste à dire : “mais voyons, on ne supprime rien, on fait appel aux départs volontaires…” ? Avec une petite prime, histoire d’être mieux entendu. De qui se moque-t-on ? Les fonctionnaires d’Etat, territoriaux ou hospitaliers qui mordraient à l’hameçon ne seraient pas remplacés…si ce n’est par des contractuels et ils perdraient tous les avantages attachés à leur statut.
Sarkozy y avait déjà pensé mais ça n’avait guère suscité d’enthousiasme. Macron veut mettre le paquet à travers son projet de numérisation de toutes les démarches administratives (CAP 22) qui ne se feront plus qu’en ligne avec une identification unique : en marche vers l’ubérisation des services publics, histoire de “moderniser” l’Etat. Bonjour la relation humaine et l’égalité des citoyens dans l’accès à des services “publics” en voie de privatisation !
Le danger est extrême, il y va d’un choix de civilisation : gouverner pour le capital ou pour l’Humain d’abord ?
Inutile de dire qui seront les victimes les plus pénalisées d’une telle purge si, d’aventure, on acceptait de l’ingurgiter !A quelques mois du cinquantenaire de MAI 68, la provocation pourrait réveiller bien des colères latentes..
René Fredon
(1)
(2)
http://www.vie-publique.fr/acteurs/commissariat-general-strategie-prospective-cgsp.html