L’HUMANITÉ MANOUCHIAN AU PANTHÉON, ENFIN
Missak Manouchian au Panthéon, enfin !
Le combattant FTP-MOI arménien rejoint, ce mercredi 21 février, le temple républicain.
Avec lui, la Résistance communiste, jusqu’ici insuffisamment honorée, y entre aussi. Un événement de portée historique, entaché par la présence annoncée du RN.
Souvent, il a emprunté la légère pente de la rue Soufflot. Puis tourné à gauche, longeant l’université de la Sorbonne qu’il fréquentait en auditeur libre, pour gagner la bibliothèque Sainte-Geneviève. Des heures durant, Missak Manouchian y use les chaises, le nez dans les livres.
D’ici, le poète communiste a une vue imprenable sur les blanches colonnes du Panthéon où, déjà, il peut lire, gravée en lettres d’or sur le fronton, l’inscription « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Mais sans imaginer qu’un jour ce monument, point culminant de son quartier latin chéri, pourrait être la dernière demeure d’un apatride épris des Lumières, rescapé du génocide arménien qui a demandé en vain, et par deux fois, la nationalité française.
Ce mercredi 21 février, au coucher du soleil, le glorieux résistant y fera son entrée, avec son épouse Mélinée, quatre-vingts ans jour pour jour après être tombé sous les balles des nazis, au Mont-Valérien, en 1944. Une plaque portant le nom de ses 23 camarades exécutés sera rivée à l’entrée du caveau pour que, symboliquement, ils l’accompagnent. La République répare ainsi une vieille injustice.
Elle célèbre le héros qui défia l’occupant et reconnaît, par ce choix, le rôle des résistants communistes et étrangers dans la libération du pays. « C’est une façon de faire entrer (au Panthéon) toutes les formes de la Résistance intérieure, dont certaines trop longtemps oubliées », affirmait Emmanuel Macron dans nos colonnes. « Il s’agit de la reconnaissance attendue depuis longtemps par les communistes pour ceux qui, au nom de notre idéal, ont fait le choix des armes pour défendre notre liberté. Avec ce geste, le président de la République envoie un signal sur ce qu’est être citoyen aujourd’hui en France, se réjouit le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Nous attendions cela. »
Affront à la mémoire de Manouchian
De par sa fonction, le locataire de l’Élysée est certes le garant de la cohésion nationale. Mais il fait aussi de la politique. Quitte à s’adonner à une forme de braconnage mémoriel. Car, si le chef de l’État assure que le combat antifasciste et internationaliste des 23 est « central », il insiste surtout sur l’aspect patriotique de leur engagement.
C’est un « Français de préférence » qu’il fait entrer au Panthéon, assumant de tordre Strophes pour se souvenir, poème d’Aragon, « Nul ne semblait vous voir français de préférence ».
Manouchian et ses camarades : qui sont les 23 martyrs de l’Affiche rouge ?
Cette panthéonisation rendant hommage à un immigré s’inscrit aussi dans un contexte politique particulier, deux mois après une loi immigration votée avec l’extrême droite et revendiquée comme une « victoire idéologique » par Marine Le Pen. Cette dernière a d’ailleurs décidé de se rendre à la cérémonie, malgré le refus de certains descendant de FTP-MOI de l’y voir et la déclaration d’Emmanuel Macron qui a estimé, dans l’Humanité, que le RN serait « inspiré » de ne pas être présent « compte tenu de la nature du combat de Manouchian ».
« C’est oublier que, dans leur histoire, ils ont du sang sur les mains ! » tranche Fabien Roussel. Une présence impensable, vue comme un affront, voire une profanation de la panthéonisation du résistant. Et le sentiment d’une nouvelle injustice : malgré leur rôle prépondérant dans la Résistance, les communistes ont été écartés des honneurs du Panthéon ; aujourd’hui, ils devront supporter des ennemis à la cérémonie. Aurait-on accepté la présence de l’extrême droite lors de la panthéonisation de Jean Moulin ?
Le tournant « l’Armée du crime »
Rien n’est donc simple quand il s’agit de suivre le cortège de Manouchian. Comme son existence, son chemin vers le mausolée ne tient pas de la ligne droite. Ce n’est qu’en 1951, sous l’impulsion d’Albert Ouzoulias, conseiller PCF de Paris et ex-supérieur hiérarchique du résistant dont il veut faire vivre l’héritage, qu’une rue du 20e arrondissement est baptisée en l’honneur de Manouchian et ses camarades.
Manouchian au Panthéon : voici comment se déroulera la cérémonie
Quatre années plus tard, Louis Aragon écrit Strophes pour se souvenir, poème sur ces « vingt et trois qui criaient la France en s’abattant », que Léo Ferré met en musique en 1959. Deux œuvres qui sortent de l’ombre les fusillés FTP-MOI du Mont-Valérien. Il faut attendre 1971 pour que Missak, bien qu’ayant reçu la médaille de la Résistance à titre posthume, soit reconnu « mort pour la France ».
Il y a bien le film de Frank Cassenti, l’Affiche rouge (1976), sur ce groupe surnommé « l’armée du crime » par les nazis. Mais le long-métrage, lauréat du prestigieux prix Jean-Vigo, attire moins de 250 000 spectateurs en salle. Personne ne pense encore à envoyer Missak Manouchian parmi les grands hommes.
Présenté en 2009 au Festival de Cannes, un autre film sort, avec Simon Abkarian dans le rôle-titre. L’Armée du crime, de Robert Guédiguian, marque toute une génération d’élèves, à laquelle les professeurs d’histoire transmettent ainsi le flambeau de la mémoire. Jean-Pierre Sakoun, lui, a quitté les bancs de l’école depuis un moment mais, devant cette fresque tragique, ce qui sera une obsession apparaît : et si Manouchian entrait au Panthéon ? L’actuel président de l’association Unité laïque n’est, en revanche, pas le premier à le demander officiellement.
Le député socialiste Jean-Marc Germain publie, en 2014, dans le Monde, une tribune appelant à la panthéonisation des membres de Manouchian et de ses 22 camarades, « bien que communistes ». Le 27 mai 2015, quatre portraits, signés du plasticien Ernest Pignon-Ernest, recouvrent la façade du mausolée républicain, car ce jour-là, quatre résistants gaullistes et de centre gauche y font leur entrée : Pierre Brossolette, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Jean Zay. Un cinquième reste dans les tiroirs de l’Élysée. Celui de Missak Manouchian.
À sa façon, Ernest Pignon-Ernest avait pourtant demandé à François Hollande, alors à la tête du pays, d’y songer, lorsque le président est venu réceptionner, à son atelier, les quatre portraits, auxquels le plasticien avait ajouté celui de Manouchian. « Pas d’ouvrier, pas d’étranger, pas de poète et pas de communiste ? » gronde alors l’artiste.
Sourire poli du chef de l’État socialiste. Mais aucun retour en arrière sur sa décision d’écarter tout un pan de la Résistance, laquelle a suscité l’ire des militants du PCF. « Si j’avais fait un second mandat, il est tout à fait évident que j’aurais mis le groupe Manouchian au Panthéon », évacue aujourd’hui François Hollande auprès de l’Humanité.
« Il a compris notre démarche universaliste »
C’est donc neuf ans plus tard que le chef militaire des FTP-MOI parisiens rejoint le tombeau où il devrait déjà reposer. Et ce, sous l’impulsion d’un président de droite. L’idée lui a été soufflée par un comité transpartisan, créé en septembre 2021. Celui-ci est présidé par Jean-Pierre Sakoun, accroché à sa vieille idée, et composé du sénateur communiste et petit-fils du résistant Albert Ouzoulias, Pierre Ouzoulias, du maire LR de Valence (Drôme), Nicolas Daragon, de l’historien Denis Peschanski, de la secrétaire générale d’Unité laïque, Aline Girard, et de la petite-nièce du couple de panthéonisés, Katia Guiragossian.
Ensemble, ils élaborent une stratégie pour qu’enfin la nation rende cet hommage mérité. « Le président prête une oreille attentive », raconte Pierre Ouzoulias. Ils sont reçus, en mars 2022, à l’Élysée par deux proches du chef de l’État. Ce dernier accepte « tout de suite », assure le palais. « Il a compris qu’il fallait faire entrer des représentants des résistances communiste et étrangères pour l’unité de la nation et pour l’histoire. Il a compris notre démarche universaliste », salue Jean-Pierre Sakoun.
Les Manouchian au Panthéon : l’aboutissement d’un long combat
Le 18 juin 2023, après de longs mois de silence, le président de la République annonce, par un communiqué, sa volonté d’honorer le héros. Pierre Ouzoulias lui soumet alors une idée : que la double nationalité franco-arménienne lui soit accordée de façon posthume par les deux parlements. Emmanuel Macron refuse, « pour des bonnes raisons », admet le communiste : Missak Manouchian entre au Panthéon comme il a vécu, en apatride.
C’est aux alentours de 20 heures, après un hommage populaire organisé dans l’après-midi par le PCF et la CGT, que Missak Manouchian rejoindra le caveau numéro XIII pour l’éternité. Auparavant, porté par des soldats de la Légion étrangère et surmonté d’un drapeau français, son cercueil aura emprunté la légère pente de la rue Soufflot. Au lieu de tourner à gauche, il continuera tout droit, sous les blanches colonnes du Panthéon….
Emilio Meslet