Les liaisons dangereuses
La rencontre Mitterrand-Le Pen à l’Elysée
Ce n’est qu’un infime moment d’histoire mais il a eu des conséquences énormes dans
l’ascension du FN à peine sorti des limbes. L’évoquer me paraît utile tant le passé éclaire l’avenir mais il ne l’écrit pas. Le communiste de longue date que je suis, n’engage que moi à travers mon vécu militant de cette période intense.
Le 1er volet évoquait l’origine, non pas de l’extrême-droite en France, mais du FN et de ceux qui l’avaient crée le 5 octobre 1972, dont J-M Le Pen fut le premier président.
Aux législatives de 1973, il fit 1,2%, Le Pen 5,22 dans le XVè arrondissement de Paris. Premier congrès, première scission une partie formant le PFN, parti des forces nouvelles. En 1974, mort de Pompidou, Le Pen fait 0,75%. Au 1er tour Mitterrand devance Giscard d’Estaing, lequel l’emporte de justesse au 2è tour 50,82% !
Dans le programme de JMLP il y avait “la limitation de l’immigration étrangère et l’abrogation des accords d’Evian (fin de la guerre d’Algérie)”…Cette année-là le cimentier Lambert lui léguait sa fortune et le manoir de Montretout (ou presque). Un legs pour lui, pas pour le FN ?
Aux législatives de 1978, le FN fait 0,33%. Aux Européennes de juin 1979, Le Pen FN et Tixier-Vignancourt PFN se brouillent. Pas de liste commune. Celle du PFN fera 1,31% !
10 mai 1981 Mitterrand l’emporte !
Absent de la présidentielle, Le Pen n’obtient pas les 500 signatures. Aux législatives qui suivront c’est la cata…0,18% ! La gauche unie obtient la majorité absolue. Mitterrand a pris, de peu, sa revanche sur Giscard avec 51,76%.
Il va pouvoir mettre en œuvre le programme commun : nationalisations, création d’un ISF, augmentation du SMIC et des allocations familiales, la retraite à 60 ans, 5è semaine de congé, abolition de la peine de mort , loi Auroux sur le travail, régularisation des étrangers en situation irrégulière….C’est l’euphorie à gauche et dans les classes populaires.
Le Pen avait appelé à voter pour Giscard au second tour et se trouvait toujours banni des plateaux, n’étant plus élu et les télés ne se déplaçant pas pour couvrir le congrès du FN et ses quelques centaines d’adhérents. Il veut sortir de l’ombre, il se rappelle qu’il a une connaissance à l’Elysée.
Le 26 mai 1982, il fait, par le truchement d’un des conseillers de Mitterrand qu’il connaît depuis la FAC, une demande écrite de rencontre avec le président et lui remet la lettre pour qu’il puisse accéder à la télévision publique qui n’invitait que les représentant des groupes parlementaires.
François Mitterrand signe, le 22 juin1982, une réponse écrite à Jean-Marie Le Pen : “ Il est regrettable que le congrès d’un parti soit ignoré par Radio-Télévision. […] Elle ne saurait méconnaître l’obligation de pluralisme qui lui incombe […]. L’incident que vous signalez ne devrait donc plus se reproduire. Mais d’ores déjà, je demande à Monsieur le Ministre de la Communication d’appeler l’attention des responsables des sociétés Radio-Télévision sur le manquement dont vous m’avez saisi. “
Une semaine après, le 29 juin 1982 Le Pen est sur le plateau de TF1 !
Vous vous demandez peut-être en quoi ça va nous aider aujourd’hui à mettre le RN sur le reculoir et à faire partager notre soif de paix, de justice, de liberté, d’égalité, de solidarité, de laïcité…bref d’humanité ? Ou si je ne règle pas des comptes avec Mitterrand, avec mon passé ? Où si je n’ai pas la nostalgie d’une autre époque, dépassée par les disparités intergénérationnelles qui n’ont pas connu tout ce qui est train d’être cassé et qui avait été conquis par le mouvement social depuis le front populaire, la Libération, 1968, 1981…Que c’est loin tout ça…Regardons devant !
Dommage qu’on s’enfonce dans le brouillard de plus en plus épais et qu’on n’a pas besoin de savoir pourquoi Mitterrand avait décrété la fin de la récréation deux ans à peine après son arrivée à l’Elysée. Il renonçait à la rupture promise avec les forces du capital, il décrétait la rigueur, la soumission et basculait dans le libéralisme mondialisé sous domination américaine. Voilà ce que devenaient dix ans d’élaboration laborieuse, PS, PCF et PRG, aboutissant à un programme commun audacieux, comme s’y était engagé le congrès d’Epinay le 13 juin 1971 où Mitterrand prenait les commandes du PS.
Comme si seul le parti communiste croyait et voulait la transformation sociale, politique et économique, par l’extension des luttes et des mobilisations populaires. Alors que ses partenaires avaient mis le frein à la fin de la négociation. Le discours de Mitterrand (1) est révélateur de son talent mais aussi de ses objectifs ambivalents.
A force de perdre la confiance des classes populaires à cause de ces renoncements c’est non seulement toute la gauche qui s’affaiblit considérablement mais l’extrême-droite qui est en train de détourner à son profit les colères populaires qui découlent des choix libéraux !
La réception de Le Pen a une double explication : où Miterrand ne le voyait pas comme un danger ou/et il voulait qu’il serve à diviser la droite, car la marge gauche-droite est faible. Ce que disait clairement Bérégovoy, son secrétaire général, à Franz-Olivier Giesbert en juin 1982 :
“On a tout intérêt à pousser le Front national, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C’est la chance historique des socialistes” !!! (2)
Il y a des phrases qui font très mal. Surtout quand elles se transforment en actes.
Depuis 1982, en France, le FN-RN n’a cessé de progresser.
Pour ne prendre que l’élection présidentielle au 1er tour :
1988 : 14,38% 1995 : 15% 2002 : 16,86% 2007 : 10,44% 2012 : 17,9 % 2017 : 21,7% 2 022 : 21,3% … Les sondages le donnent à 31% le 9 juin prochain !
Autre exemple significatif : Dreux, en mars 83 le 1er tour des municipales avait été annulé puis reporté en septembre 1983. La liste FN avec Stirbois est à 16,7% sous le slogan “Halte à l’immigration , du travail pour les Français“.Il fusionne avec celle du RPR pour l’emporter sur la gauche, Stirbois sera 1er adjoint avec 9 conseillers. C’était la tendance dans toute la France !
Evidemment il est plus facile de faire un constat que de remédier à nos errreurs, nos défaillances, nos insuffisances…
L’accomplissement du programme commun a coûté cher nous avait-on dit. Ne l’avait-on pas prévu ? On ose y croire. Mitterrand, sur les conseils de Mauroy, 1er ministre, Delors, ministre de l’économie et Fabius, ministre du budget, décide du fameux plan de rigueur en mars 1983. Chevènement démissionne. En juillet 1984 les 4 ministres communistes refuseront de faire partie du 2è gouvernement Fabius.
La déception est énorme chez les militants et électeurs communistes de cet abandon des promesses qui n’auraient donc été qu’électorales ? Une cassure s’exprime à la direction du PCF. Je n’ai toujours pas compris -et je ne dois pas être le seul- pourquoi on est revenus, ultra minoritaires, dans le gouvernement Jospin en 1995, sous la présidence de Chirac ?
Il y en a eu d’autres, tant il est vrai qu’au fil du temps, on a plus de doutes que de certitudes.
Nous sommes au XXIe siècle et c’est pire encore. En 2012 on a entendu Hollande nous dire, avec toute sa fougue révolutionnaire que “mon seul ennemi c’est la finance” avec dans ses bagages, un certain Macron qui est capable de dire tout et son contraire. Il va bientôt nous quitter avec un bilan social exceptionnel et la perspective d’envoyer bientôt nos troupes en Ukraine. Il nous prépare à la guerre. On est prêt à lui accorder sa retraite anticipée.
Reste à la gauche à retrouver ses idéaux, son union et un contenu à la hauteur des enjeux ainsi qu’à retrouver le chemin des entreprises et des quartiers à commencer par ceux où les problèmes sociaux notamment sont les plus insupportables. Sans parler des nouvelles technologies de communication sophistiquées en perpétuelle évolution, intégrant l’I.A.
Il y a du grain à moudre, le capitalisme ne lâchera pas l’affaire de son plein gré. Comme le patronat, II peut compter sur le RN pour le protéger !
René Fredon
(1) https://gpthome69.files.wordpress.com/2019/06/mitterand-epinay_1971.pdf
(2) http://michel.delord.free.fr/maindroite.pdf
citations, dans le livre “La main droite de dieu”, p.18 à 31