Il a suffi que la maire de Paris avance la chose pour que ce qui paraissait utopique, voire démagogique, devienne une réflexion sérieuse, une hypothèse à examiner de près pour endiguer dans les agglomérations, les flux de circulation automobile et leurs émissions de GES, leur consommation d’essence ou de diésel, la perte de temps considérable, le coût en marche et à l’arrêt, la qualité de l’air qu’on respire.
La métropole de Lille envisage même de payer les automobilistes (80 euros/mois) pour qu’ils laissent la voiture au garage de manière à fluidifier la circulation aux heures de pointe entraînant bouchons et pics de pollution !!! On en est là. Et pas qu’à Lille.
Le nouveau gouvernement allemand envisage la gratuité des transports de proximité pour “améliorer la qualité de l’air” et va la tester dans cinq grandes villes (2)
Pour peu qu’on ait conscience des enjeux environnementaux et du poids du secteur des transports, premier émetteur de gaz à effet de serre (29,2% du total) et premier émetteur de CO 2 (40%) à l’échelle mondiale, le sujet mérite examen et même expérimentation..
Plus les agglomérations se peuplent -et c’est le cas- plus la pollution augmente dans et aux abords des villes, ainsi que les temps de trajet et leur coût qu’ils soient individuels ou collectifs.
Sauf que s’agissant des transports collectifs publics mûs à l’électricité, ils n’émettent pas de gaz à effet de serre et ils sont infiniment plus économiques en coût d’exploitation comme en temps et tellement plus confortables et sûrs…
Encore faut-il que les organisateurs de transports publics aient les moyens de satisfaire une demande prête à changer son mode de transport individuel si l’offre publique est suffisamment en correspondance avec les besoins des usagers. Ce qui suppose des investissements d’une autre ampleur concernant les transports du quotidien, donc des pouvoirs publics qui choisissent de donner la priorité aux transports en commun publics.
Macron et son gouvernement sont engagés dans la démarche diamétralement opposée. Ce n’est pas une raison de renoncer à une idée socialement juste et efficace. Au contraire.
La gratuité va dans le bon sens : elle n’est pas toute la solution
La trentaine de communes moyennes -d’horizons politiques divers- qui ont instauré la gratuité pour leurs habitants, ont vu l’usage de la voiture diminuer. Elles ne paraissent pas prêtes à faire machine arrière, pas plus que les usagers ravis de cette hausse très directe de leur pouvoir d’achat ajoutée aux économies de carburants et aux frais de stationnement. Idem pour les commerçants des centres-villes
Quant à la ville ou à l’agglomération, finalement elles ne se trouvent nullement pénalisées, vu les économies de personnel de contrôle et de délivrance des cartes et billets, le recul, voire l’absence de dégradations et d’incivilités. Le gros des recettes est assuré par le versement transport payé par les entreprises (70% environ des recettes). La fréquentation en hausse notable, réduisant d’autant le coût du trajet par usager. Cette proposition est depuis des années portée par les communistes de Toulon. Parce qu’elle assure à tous le même “droit à la ville”. Elle est un élément de liberté, de justice sociale, d’efficacité écologique.
Elle relève du bon sens et devrait être au moins expérimentée. Toulon ne cesse d’accumuler du retard dans un secteur très sensible : les déplacements au quotidien. Le plus économique et le plus écologique, c’est le tramway. Avec la gratuité voilà qui devrait faire l’unanimité ou presque ! Pourquoi pas un référendum sur cette double question ?
Etant entendu que la gratuité pourrait ne s’appliquer qu’aux habitants de l’agglomération qui paient leurs impôts ici, par exemple ? Et seulement dans les TER et les bus de l’agglo (en attendant le tramway) ? Cela pourait s’étendre au plan régional ?
Après tout, les habitants ont participé au financement des infrastructures, comme contribuables et à travers les cotisations des entreprises au versement transports. Il est logique que les transports publics urbains locaux et régionaux soient considérés comme un service public gratuit, comme la scolarité. D’autant qu’ils sont contraints, très majoritairement, car liés au travail et aux études.
Il y a, bien sûr, les “contre” pour qui toute gratuité, ça déresponsabilise, c’est de l’assistanat….Tant pis si ça contribue à réduire les pollutions dont les effets sur la santé sont avérés, donc à dissuader de l’usage de la voiture et à “donner de l’air” aux catégories sociales les plus défavorisées, mais pas que, en même temps que la fraude y perd sa raison d’être.
Mais il faut bien que quelqu’un paie ? Sous-entendu quelqu’un qui ne se sert pas des transports publics et devra payer plus d’impôts pour compenser le manque à gagner. La billetterie compte pour 10 à 12 % des recettes, parfois moins. Et les dépenses pour l’émettre, la diffuser, la contrôler…pratiquement autant que les recettes ! Et puis, le budget d’une commune, c’est pour répondre aux besoins collectifs. Les retraités ne vont plus à l’école et pourtant ils participent à leur construction et à leur entretien. Ca s’appelle la solidarité. Et les transports en commun gratuits, ça les intéresse très directement.
Les collectivités territoriales sont -théoriquement- responsables des dépenses qu’elles émettent. Mais, elles n’ont pas la maîtrise de leurs recettes puisque l’Etat ne cesse de réduire leurs dotations pour les contraindre à réduire leurs dépenses, sous prétexte de “solidarité nationale” !!
Elles se battent d’ailleurs contre ces dispositions autoritaires qui mettent en cause les services publics qu’elles organisent, alors qu’on les pénalise avec la fin des contrats aidés et qu’elles ont davantage de dépenses sociales en raison de l’accroissement des familles en grandes difficultés.
C’est un vrai problème qui met ce gouvernement en total porte-à-faux avec les objectifs qu’il proclame, comme celui “de donner au ferroviaire toutes ses chances ” (Elisabeth Borne 13/12/17 aux assises de la mobilité) (1). On notera que le mot “transports” a laissé la place à une autre notion, la “mobilité” beaucoup plus neutre qui fusionne les notions de public et de privé, de déplacements contraints et de déplacements de convenance. Puisque désormais ” la frontière entre transport public et mobilité individuelle s’estompe…”
On voit ce que cela veut dire avec le démantèlement de la SNCF et du statut des cheminots, l’ouverture à la concurrence, avec l’incitation à quitter “volontairement” la fonction publique ! Du jamais vu. La priorité au rail n’est plus affirmée et les ministres se présentent comme des sauveurs de notre modèle ferroviaire que leurs prédécesseurs ont commencé à casser !
Leur but : tout privatiser pour nous précariser
C’est à notre modèle social qu’ils ont décidé de s’attaquer et “à la hussarde” !
Derrière les belles formules et les bonnes intentions, il y a le concret, le vécu, l’austérité pour le plus grand nombre et l’explosion des profits pour une infime minorité. 93 mds d’euros de profits en 2017, rien que pour les 40 entreprises du CAC 40 : qui va en profiter ?
Les choix de Macron vont tous dans le sens de libéraliser (= privatiser) les services qui peuvent concourir aux déplacements des personnes tout en promettant de réduire les inégalités de territoires(?) et “en verdissant nos véhicules (voitures, poids lourds, deux-roues, autocars, …)” ? Les rendre plus propres…seulement ? Le diesel, jusqu’à quand ?
La voiture autonome devient une priorité dont “la France veut avoir le leadership sur cette technologie”, selon la ministre ! L’avenir est à l’innovation, n’est-ce pas, aux start-up, au digital, aux solutions qui, en un clic, vous proposent “l’ensemble des combinaisons possibles pour un trajet.” On en a de la chance ?
La question de la gratuité n’est venue à l’idée de personne. Elle eût été insipide, voire triviale, vu la hauteur du discours.
J’aurais eu envie de dire, pour sourire un peu, à madame la ministre Elisabeth Borne : au-delà, y a plus de limites. Entendez les colères et les exigences du peuple d’en bas !
René Fredon
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