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Lu dans Économie et Politique, Éditorial idées et luttes….(À voir aussi sur WhatsApp « L’Humain d’abord ») 

Éditorial : Frédéric BOCCARA

Économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Idées et luttes pour sortir de l’impasse….

Le Nouveau Front populaire a fait lever un espoir grâce à deux choses : le sursaut électoral antifasciste qu’il a permis, la crédibilisation d’un programme de transformation sociale profonde. Malgré ses contradiction et ses limites, ce programme est d’abord un programme qui peut construire, ouvrir à une construction répondant aux exigences sociales du pays et aux exigences objectives de la crise et du nouveau monde qui pousse, si nous le prenons de façon dynamique et offensive, non pas seulement un programme de « rupture », selon la phraséologie gauchiste en vigueur, car une rupture n’est pas l’objectif en soi, même s’il faut tourner le dos aux politiques d’austérité et affronter les forces du grand capital.

Mais se manifeste, dans le même temps, une forme d’impasse politique pour la gauche. Les médias dominants prétendent, eux, qu’il y a un « blocage » du pays. Ils sont repris malheureusement en cela par nombre de dirigeants politiques, voire communistes ! Mais c’est ignorer qu’Emmanuel Macron continue à « dérouler », par exemple sur le budget, sur l’école ou sur les aides au grand capital ! Parler de blocage, au lieu d’impasse, est entrer dans ce qui est le prétexte, ou plutôt le levier, pour Macron, pour aller très loin dans le changement de régime ― engagé dès le confinement ― vers une hyper-présidentialisation…

Cette situation est aussi utilisée par certains pour tirer une partie de la gauche vers le libéralisme et le centre-droit, et par d’autres, à gauche, pour pousser les feux de l’ultra-délégation de pouvoir au sommet et d’une présidentialisation accrue de celle-ci, dès à présent.

Alors qu’il s’agit de soigner la résistance et la prise de conscience populaire de ce qu’il y a à changer par le débat d’idées transversal et par la mobilisation populaire pour des luttes.

L’existence, dans les consciences, d’une possibilité de politique alternative, crédible socialement, économiquement et politiquement c’est la spécificité française, en Europe continentale, face à la montée des fascismes. Mais cette conscience est fragile et, surtout, floue est la conscience sur les exigences de contenu d’une telle politique. Faire progresser cette conscience est la condition décisive pour répondre aux exigences, combattre la politique de Macron, mais aussi pour faire vraiment reculer l’extrême droite et sa politique, conjurer le fascisme.

Idées et luttes pour sortir de l’impasse politique. Tel est notre état d’esprit dans ce numéro consacré à ces enjeux, dans la foulée du précédent. Cette fois-ci à partir de la question de « la dette ».

Le MEDEF, véritable commanditaire de Macron et qui se veut faiseur de rois, a commencé à peser explicitement par la voix de son président Patrick Martin pour un maintien des choix économiques majeurs mis en œuvre ces dernières années.

Le pouvoir en place, allié en cela au RN et à la droite, veut cantonner le débat à « plus ou moins d’impôts et, de toutes façons, moins de dette immédiatement ». C’est le « préalable de la dette ». Cela ne marche pas, même selon les critères dominants ! Keynes s’était élevé contre ce « préalable », défendu par Hayek ou par Jacques Rueff, qui a déjà fait tant de mal dans l’entre-deux-guerres et a nourri les fascismes, mis en œuvre en France par Pierre Laval en 1935, ou par le chancelier allemand Brüning ouvrant la voie à la dissolution du Reichstag et à l’accession de Hitler au pouvoir. Mais aujourd’hui, il s’agit d’aller au-delà de Keynes : non seulement de mobiliser des avances massives, par création monétaire, avant de produire ; mais aussi que des critères précis d’efficacité économique, écologique et sociale guident ces avances, avec des institutions démocratiques nouvelles.

Il est absolument nécessaire de mettre en œuvre des transformations structurelles nouvelles pour cela, au lieu de seulement invoquer et espérer que le « multiplicateur budgétaire » soit élevé et de brandir « l’exemple » des États-Unis qui n’est ni enviable, ni réplicable ou encore la prétendue Modern monetary theory.

Des transformations structurelles, au-delà des pesanteurs étatistes de la gauche réformiste…

il faut des avances pour les services publics (État, collectivités, hôpitaux) et non pour la guerre ou pour le capital, avec un développement massif de leur emploi et de la formation, par déficit budgétaire accru. Un pôle public bancaire peut le financer depuis la France, la BCE doit le refinancer à 0 %, et un Fonds européen peut systématiser cela dans toute l’UE ;

il faut des avances aux entreprises, pour embaucher, former, engager des investissements de recherche et des investissements matériels efficaces, économes en capital et visant une « bonne » valeur ajoutée, par un crédit bancaire d’un nouveau type donc ― abaissant son taux d’intérêt, donc le coût du capital, d’autant plus que des emplois et des diminutions d’émissions de CO2 sont programmés et réalisés ;

ces deux ensembles d’avances se heurtent aux exigences du capital, qui veut ces avances à son profit (donc selon ses critères), et à la fuite en avant dans le financement de l’effort de guerre. Elles ne pourront se faire que contre le capital et la guerre.

Elles portent et exigent une transformation profonde des pouvoirs, des buts et des critères de choix de notre société. En cela, elles sont révolutionnaires et ouvrent la voie à une transformation radicale, mais réaliste : pouvoirs dans les entreprises et sur elles, institutions de planification démocratique, stratégique et incitatrice, démocratie avec des éléments d’auto-direction et autogestionnaires, nouvelle culture.

Pôle public du crédit et dépenses publiques accrues, avec un déficit aujourd’hui, peuvent mobiliser des avances. Celles-ci permettent de se développer suffisamment, si on les oriente correctement, et donc d’avoir un PIB qui au bout de 3 à 5 ans s’accroît de plusieurs centaines de milliards. On peut ainsi « avaler la dette », comme on l’a fait après-guerre. Les socialistes, les insoumis, les gaullistes (il en reste !), les femmes et hommes de bonne volonté sont-ils prêts à aller dans ce sens ? Cette perspective est incontournable. Comme le sont, en parallèle, l’ouverture de négociations européennes et internationales pour une « reflation » coopérative et pacifique de progrès social et écologique.

Le Pen et Bardella partagent avec Macron et la droite une idée qu’ils expriment : au nom du préalable de la dette, mettre en œuvre l’austérité et laisser les mains libres au (grand) patronat pour décider.

Au contraire, avances par le crédit, emploi-formation, pouvoirs nouveaux pour des critères alternatifs, opposés à la rentabilité financière, et bataille internationale, voilà le mantra qui peut « débloquer » l’économie, la gauche, la France en visant, dans le même mouvement, l’Union européenne et la BCE. C’est une bataille de classe, dans les conditions modernes du XXIe siècle.

Pour engager un mouvement revendicatif en ce sens, nous avons absolument besoin d’un grand mouvement d’idées et de débat dans tout le pays.

De « décloisonner ». Mais décloisonnement n’est pas fusion ! Les communistes, comme force politique, mais aussi beaucoup de syndicalistes ou d’associatifs peuvent y contribuer, l’impulser. Mais, depuis au moins trente ans, ce débat indispensable n’a pas été engagé systématiquement, avec persévérance et esprit de suite dans la société par le PCF. A été nourri, de ce fait, l’effacement du PCF, de son apport original et indispensable, ont été refoulées ses idées novatrices, malgré une certaine médiatisation du parti pour ce qui concerne la dernière période.

Pourtant les 38è et 39è congrès ont affirmé cette nécessité. De même, alors que les élections européennes en étaient l’occasion par excellence, le discours mis en avant dans la campagne a radicalement reculé sur cette exigence, jouant même avec le feu en utilisant, dans ces temps de fascisme marchant, le mot de « souverainisme ». Électoralisme d’une part, mais aussi refus d’affronter les questions de fond, par exemple dans le débat avec les autres forces politiques comme LFI. Existe même l’idée qu’avancer nos propositions économiques essentielles diviserait, alors que les tous récents développements et débats ont commencé à montrer le contraire !

Le mouvement populaire a besoin d’idées révolutionnaires en phase avec les exigences de notre temps…

Il y a besoin, au-delà de la conjoncture politique, d’idées et d’une théorie révolutionnaires, d’un « réarmement idéologique » si l’on veut. En tout cas d’un outillage, de munir le mouvement avec des idées en phase avec les exigences et réalités de notre temps, sans lâcher sur l’ambition de classe et révolutionnaire. Dans des périodes comme celles-ci, des intellectuels responsables politiques ont joué ce rôle, passeurs en quelque sorte des intellectuels créateurs qui, à l’instar de Marx, les avaient précédés. Ce fut le cas de Lénine voire de Jaurès. Mais même Thorez ou Fidel étaient des intellectuels ! Il y a besoin d’une forme de révolution culturelle rompant avec l’ère des discours creux et sans visée de décryptage, ni d’action.

Des forces existent, syndicales, associatives, populaires et dans le PCF… Et surtout des idées, sur la base des avancées considérables réalisées par Paul Boccara, pointe avancée et créative de toute une expérience et d’une réflexion collectives, avec des développements en cours, qu’il faut voir, pousser et s’approprier. Les idées, ces idées, leur sens, au service des luttes, ne pourront se développer qu’en interactions avec les luttes.

En cette rentrée, deux livres sortent qui aideront à nourrir la bataille : l’un aux éditions de l’Humanité (Connaître et agir avec Paul Boccara) constitué surtout d’écrits d’autres que Paul Boccara, et jalonné de ses interviews, ainsi que d’une BD qui fut publiée dans les colonnes de cette revue ; l’autre au Temps des Cerises, constitué des conférences de Paul Boccara dans lesquelles il a récapitulé en détail, mais de façon pédagogique, toute son œuvre et ses apports.

Si je devais résumer notre boussole, au-delà du couple fondamental entreprises/argent, j’y verrais cinq « points cardinaux » :

  • l’argent comme levier pour transformer la gestion des entreprises ;
  • le travail, surtout appelant à développer l’emploi, un autre type d’emploi, comme cœur d’une nouvelle conception de l’économie, en amont des décisions et non pas comme « solde » de l’activité économique, avec le projet d’une Sécurité d’emploi ou de formation, émancipateur jusqu’au-delà du travail ;
  • la mondialisation à révolutionner et l’impérialisme du dollar à combattre, de même que tous les impérialismes rivaux ou les sous-impérialismes (France) pour un monde de coopération et de partage ;
  • l’anthroponomie pour une autre culture de l’autre, une autre relation à la culture, une autre relation à la nature et au vivant, un développement de l’apport créatif de chacune et chacun, au-delà du travail jusqu’à un autre sens de la vie, face notamment aux intégrismes religieux ou à ceux du profit, ou face à l’angoisse écologique ;
  • les services publics et les institutions nouvelles d’intervention sur la gestion des entreprises, et de pouvoirs sur les banques et l’argent avec nouveaux critères à la racine, bataille cardinale…

On en reparlera !

 

 

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