109 milliards d’euros d’investissement dans l’IA : Emmanuel Macron appelle à ne pas « réguler avant d’innover »
Dans une interview sur France 2 et le média indien Firstpost, ce dimanche 9 février, le chef de l’État a annoncé un investissement français de 109 milliards d’euros dans cette technologie, la veille du sommet international dédié à l’Intelligence artificielle.
Emmanuel Macron entend bien mettre un coup d’accélérateur et tenter de rivaliser avec les géants de l’intelligence artificielle. Ce 9 février, lors du journal de 20 heures, diffusé sur France 2 et en Inde, le président de la République annonce « 109 milliards d’euros d’investissement dans l’IA dans les prochaines années en France ». Cette somme est comparable au programme américain de Donald Trump, StarGate, rapporté au budget des deux pays.
Le financement des 109 milliards d’euros devrait être détaillé, lors du sommet international pour l’action sur l’Intelligence Artificielle, coprésidé par la France et l’Inde, qui s’ouvre ce lundi 10 février, à Paris. « La première chose est que l’on doit être dans la course, dans la géopolitique de l’innovation. Avant de réguler, il faut dire : “ nous on veut en être” », répond-il aux journalistes Laurent Delahousse et Palki Sharma Upadhyay, du média indien, Firstpost, qui s’inquiète des effets pervers de la technologie.
Depuis le Grand Palais à Paris où se tiendra le sommet, le chef de l’État se trouve inhabituellement interrogé dans le même temps par la presse nationale et étrangère. Pour sa première interview publique de l’année 2025, Emmanuel Macron choisit d’aborder cette thématique stratégique en termes de géopolitique internationale et de souveraineté énergétique.
L’obsession de l’innovation
« Nous, en France, on a une avance extraordinaire. On produit l’électricité parmi les (sources les) plus décarbonées, sûres et stables au monde », rappelle le président de la République. Il affirme même que les centres de données français sont « propres », – en oubliant de mentionner l’artificialisation des sols qu’imposent de tels projets contrairement à ceux, américain, qui utilisent du pétrole ou du gaz……
Pour le mathématicien Cédric Villani, « l’IA est au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe »…….
La suite est Publiée le 9 février 2025
Léa Petit Scalogna
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Objet : l’IA est au mieux une difficulté supplémentaire….
Entretien
Pour le mathématicien Cédric Villani, « l’IA est au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe »
Dès 2018, le mathématicien Cédric Villani plaidait pour que les questions autour de l’intelligence artificielle sortent des cénacles des spécialistes pour irriguer le débat démocratique. Il espère que le sommet mondial de Paris, qui s’ouvre lundi, joue ce rôle.
« On ne peut pas dire que les questions que pose l’IA se résolvent par la réponse “tout dépend de ce que nous allons en faire” », juge Cédric Villani.
Le lauréat 2010 de la médaille Fields posait déjà en 2018 la question de « donner un sens à l’intelligence artificielle » dans un rapport parlementaire. Sept ans plus tard, l’état des rapports de force internationaux le rend sceptique sur l’évolution des technologies numériques.
L’intelligence artificielle peut-elle être un outil de progrès ?
Il y a deux façons très différentes de répondre. Soit vous l’abordez du point de vue intellectuel, universitaire et c’est un sujet absolument fascinant. Il s’agit d’une aventure scientifique parsemée de grands esprits, depuis Alan Turing. La question de l’adaptation des usages rend encore plus passionnant le débat autour des métiers, de notre perception et de notre représentation du monde en fonction des moyens de communication.
Même les plus réticents à l’IA ressortent de ces débats intellectuels en se disant que tout ceci est passionnant. Mais si l’on pose la question du progrès que l’on peut tirer à partir des usages de l’IA, il est impossible d’avoir une réponse aussi tranchée. Par rapport à la paix, l’équité et la trajectoire écologiquement viable, les trois questions qui forment les grands critères actuels de progrès, l’intelligence artificielle représente au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe, au même titre que la bombe nucléaire pouvait constituer à la fois un sujet scientifique et intellectuel passionnant, mais aussi une invitation à la destruction de l’humanité.
Pourquoi tant de scepticisme ?
On ne peut pas dire que les questions que pose l’IA se résolvent par la réponse « tout dépend de ce que nous allons en faire ». Si l’on prend en compte les rapports de force actuels, son utilisation accroît nos difficultés. L’IA apporte une nouvelle façon de faire la guerre, génère de nouvelles rivalités sur le contrôle de l’information comme de nouvelles tensions géopolitiques pour le contrôle des ressources.
En tant que telle, elle ne m’empêche pas de dormir. En revanche, les tensions mondiales entravent nos efforts en faveur du désarmement et de la solidarité internationale. Mais pour toutes les forces de progrès, ne pas user de ces outils revient à laisser les armes aux adversaires.
Les cas d’usages d’IA qui concourent à une société plus juste sont légion, des travaux du Giec aux économies d’énergie, au recyclage comme à la préservation des écosystèmes… Par ailleurs, le modèle du logiciel libre mène la compétition avec le modèle de l’IA fermée. Ce n’est pas pour rien qu’Elon Musk s’en prend à Wikipédia. Mais tous ces cas d’usage de progrès représentent peu en proportion des cas d’usage nocifs.
À quoi sert ce sommet mondial de l’IA à Paris ?
Le buzz alimenté par ce sommet permet d’attirer l’attention sur les vrais problèmes. Parler d’IA, c’est parler des déchets numériques dont on sous-traite la destruction à des travailleurs ghanéens sous-payés. Parler d’IA, c’est rappeler les injustices fondamentales entre les femmes et les hommes. Pourquoi n’y a-t-il pas suffisamment de femmes dans les mathématiques, les écoles d’ingénieurs et d’informatique ?
Sommet de Paris sur l’IA : sous le bluff, les fonctions…
C’est aussi parler de recherche : pourquoi laisse-t-on piller notre force de formation par les universités américaines ?
Et puisqu’il est actuellement question de rapports de puissance entre les États-Unis et la Chine, parler d’IA, c’est parler taille et forces.
Nous concernant, la réponse doit être l’Europe, du fait de son marché et des moyens qu’elle peut mobiliser. En 2022, l’irruption de Chat GPT avait tout changé médiatiquement et permis que tous ces sujets jusque-là traités entre experts parviennent au grand public. Ce sommet de Paris nous en donne une nouvelle occasion.
En matière d’intelligence artificielle, où en est la France ?
La France a des atouts réels. Historiquement, elle possède avec l’Allemagne, la Russie et, maintenant, les États-Unis l’une des plus grandes communautés de mathématiciens. Elle reste un grand pays d’algorithme et une référence pour la qualité de ses programmeurs.
Nous n’avons pas rempli tous les objectifs de notre feuille de route numérique, mais nous nous sommes dotés d’une infrastructure de calcul qui permet à nos chercheurs de travailler en France et de ne plus aller voir les Gafam. Mais il est dérisoire voire puéril de proclamer, comme nous l’entendons à l’occasion de ce sommet, que la France va faire faire un pas de géant à elle toute seule. Il est d’ailleurs symptomatique de voir l’Europe si peu associée à l’événement.
L’Union européenne s’est pourtant dotée d’un ensemble réglementaire cohérent et ambitieux qui fait qu’elle est la plus protégée.
Notre défi, c’est la production de hardware (matériel, puces) comme de software (logiciels, programmes), qui demande une politique coordonnée de soutien en faveur de la recherche, de l’enseignement supérieur, des programmes communs de données.
Mais au vu des coupes dans les budgets, la France ne va pas dans la bonne direction. La politique européenne est aussi décevante. Pour le numérique comme pour l’écologie, on constate un recul des ambitions.
Publié le 9 février 2025
Stéphane Guérard
Lu dans l’HUMANITE….du 11 02 2025