Lu dans L’HUMANITÉ: Denis Durand économiste, ce n’est pas la dette….

Entretien

Denis Durand, économiste : « Le problème, ce n’est pas la dette, c’est de savoir à qui on emprunte »

L’économiste communiste Denis Durand analyse l’impasse dans laquelle nous conduit l’austérité

tout en appelant de ses vœux une autre politique.

Le gouvernement évoque 40 à 50 milliards d’euros de nouvelles économies : ces annonces vous surprennent-elles ?

Hélas non ! À en croire le gouvernement, il y a toujours une bonne raison de faire des économies : quand ce n’est pas pour financer « l’effort de guerre », c’est pour réduire la dette publique. L’objectif avancé est toujours le même : repasser sous la barre des 3 % de déficit en 2029. Pourtant, on sait bien que ce critère, inventé sur un coin de table dans les années 1980, n’a pas la moindre justification économique.

Par ailleurs, arrêtons de faire comme si la France était sommée urgemment par Bruxelles de réaliser des économies : la Commission européenne a explicitement dit qu’elle laissait du temps aux gouvernements de la zone euro pour se conformer à ses objectifs. Autrement dit, si on voulait se donner des marges de manœuvre par rapport au pacte de stabilité, on pourrait très bien le faire.

En quoi cette nouvelle salve de mesures austéritaires serait une mauvaise nouvelle pour l’économie ?

Notre pays est au bord de la récession, en raison notamment de la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis de Donald Trump. N’oublions pas que nous sommes très dépendants de l’Allemagne, qui va être touchée de plein fouet par les hausses de tarifs douaniers. Le gouvernement français lui-même a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour 2025. Cette dernière est de toute façon très fragile depuis des années : il suffit de pas grand-chose pour que la France bascule.

Or il est absurde, dans ce contexte, de mener une politique austéritaire, car ce type de politique pèse sur l’activité. La demande va être touchée, mais l’offre aussi : les 50 milliards d’euros vont être ponctionnés sur les services publics, ce qui va limiter notre capacité à créer des richesses – pour être performants sur le plan économique, nous avons besoin d’une main-d’œuvre bien formée, d’une population en bonne santé, d’une recherche universitaire performante, d’infrastructures solides, etc.

À l’arrivée, la politique gouvernementale risque de peser sur l’activité et donc de dégrader notre ratio « dette publique-PIB », soit l’inverse de l’objectif affiché ! On sait pourtant depuis les années 1930 que les politiques d’austérité sont inefficaces, mais on ne tire jamais les leçons du passé.

Pour autant, pensez-vous qu’il faille laisser filer nos déficits publics et notre endettement ?

Je n’ai pas dit cela. Mais le problème, ce n’est pas la dette en tant que telle, c’est de savoir à qui on emprunte : ce sont les marchés financiers qui nous prêtent de l’argent aujourd’hui. Nous sommes donc doublement liés à eux. Déjà parce que nous sommes à la merci d’une flambée des taux d’intérêt, qui renchérirait la charge de notre endettement.

Ensuite, parce que les marchés financiers ont leur mot à dire dans nos choix de politiques publiques : si nous demandons à BlackRock ou Goldman Sachs de nous prêter de l’argent pour embaucher massivement des médecins et des chercheurs, pensez-vous qu’ils accepteront ? Il faut donc s’affranchir de cette dépendance pour réaliser les investissements considérables dont nous aurions besoin.

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Comment ?

L’urgence, c’est d’embaucher massivement dans les services publics : nous avons besoin de recruter des enseignants, des soignants, des chercheurs, des juges, etc. Les gouvernements successifs ne font qu’entretenir une forme de misère des services publics, qui tire toute la société vers le bas et fait le lit de l’extrême droite. Le danger est bien de continuer à dévitaliser le pays.

Mais il est évidemment exclu de se tourner vers les marchés pour financer les embauches dont je parle. Il nous faut créer un fonds ad hoc pour le développement des services publics, qui se refinancerait auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Ce refinancement se ferait soit de manière directe (si le fonds se dote du statut d’établissement financier), soit en passant par exemple par la Caisse des dépôts, qui peut aujourd’hui parfaitement recevoir de l’argent de la BCE.

Publié le 14 avril 2025

Cyprien Boganda l Humanité 

Denis Durand économiste, ce n’est pas la dette ,c’est de savoir à qui on emprunte »