Ils y ont mis le paquet pour dramatiser le rendez-vous des Champs-Elysées du 8/12 et plus généralement la mobilisation annoncée des gilets jaunes à travers tout le pays, des ronds-points aux villes grandes et moins grandes.
Le pouvoir et ses préfets y sont allés de leurs déclarations solennelles pour dissuader les manifestants en prenant appui sur les débordements du 1er décembre notamment à Paris qui avaient laissé un goût amer du côté du ministère de l’Intérieur. Castaner a dû reconnaître la défaillance de son dispositif de maintien de l’ordre débordé par des casseurs extérieurs au mouvement ou par des gilets jaunes provoqués par des comportements policiers auxquels ils ne s’attendaient pas.
Toute la semaine, les mêmes images tournaient en boucle sur la plupart des médias, les commentaires stigmatisant la violence des seuls manifestants tous confondus et le gouvernement essayant d’obtenir le consensus des parlementaires et des Français.es pour condamner les actes commis contre des symbôles de la République ou des commerces pillés, ce qui bien sûr ne se justifie pas.
Mais, comme on peut le constater, des actes qui permettent au pouvoir de justifier un renforcement de son dispositif dissuasif et répressif tout en essayant de briser l’élan revendicatif des gilets jaunes toujours aussi soutenus par l’opinion publique qui partage les colères qu’ils portent et qui ont, d’ores et déjà, abouti à faire reculer le pouvoir et son monarque de manière significative.
A tel point que le 1er ministre s’est vu contraint de passer, dans la même journée, du moratoire de six mois à l’abandon pur et simple de l’augmentation des taxes sur les carburants et les énergies en général !
Et le mécontentement populaire ne s’arrête pas là : il exprime un ras-le-bol général face à l’injustice sociale et fiscale, au niveau du pouvoir d’achat qui va des plus démunis aux catégories sociales jusqu’alors épargnées et qui n’y arrivent plus, qui se paupérisent alors que les “élites” sociales étalent leurs richesses et les actionnaires leurs insolents profits dans un océan de misère !
Dans les rues de Toulon, samedi, comme dans de nombreuses villes, gilets verts rassemblés place de l’Equerre pour le climat, et gilets jaunes se sont confondus place Puget, en début d’après-midi, mêlant “urgence sociale et urgence climatique” dans une ambiance bon enfant et festive.
Le matin les gilets jaunes se retrouvaient à plus de 300 à Toulon, devant la préfecture, presqu’autant à l’entrée de Hyères, ainsi qu’en différents ronds-points, péages et centres-villes, sans incidents particuliers.
Tandis que les Français.es devant leur écran voyaient les véhicules blindés et la cavalerie appuyer un dispositif impressionnant de forces déployées pour isoler et contenir les manifestants dont 1700 ont été interpellés, 1200 en garde à vue, l’essentiel à Paris où les dégradations ont été nombreuses et étendues à plusieurs quartiers au cours de la journée.
C’est fou ce qu’une violence d’un jour, réelle, de quelques centaines d’individus, montrée des centaines de fois en quelques jours sur tous les écrans peut en cacher une autre, non moins réelle et qui, celle-là, concerne des millions de personnes chaque jour de leur vie ! Ces gens dont Macron disait en juillet “qu’ils ne sont rien quand on les croise dans une gare…” où l’on croise aussi “des gens qui réussissent…” Ceux-là il les voit !
Reste une mobilisation du même niveau que la semaine dernière, ce qui en dit long sur la détermination et les exigences des gilets jaunes, partout dans l’hexagone, qui ne se laissent pas berner par l’attente des annonces du chef qui va parler demain, fait-on savoir et qui aurait intérêt, notamment, à parler du rétablissement de l’ISF et de la chasse aux fraudeurs fiscaux tout en revoyant sa conception du dialogue qui relève du “cause toujours, ma décision est prise”.
Un chef qui n’apprécie pas les commentaires venus des capitales -qui n’ont rien à lui envier- et dont il est la risée à force de vouloir incarner la France à lui tout seul, une France d’en-bas en train de déboulonner sa statue. Ah! “ces gaulois qui n’aiment pas les réformes“, disait-il récemment. Effectivement, les réformes qui leur font perdre du pouvoir d’achat et régresser leurs protections sociales tout en creusant les inégalités…ils n’en veulent pas !
Indécrotables, ces gaulois qui veulent un travail et des revenus décents pour une vie digne et non assistée, qu’ils soient de la ville ou de la campagne. Qui ne sont pas contre l’impôt mais contre l’injustice fiscale, pour sa progressivité en fonction des revenus réels et contôlés. Qui veulent protéger efficacement la planète face à ses prédateurs productivistes qui en sont les fossoyeurs. Qui veulent vivre libres dans un monde en paix. Qui tendent les mains à celles et ceux qui fuient les guerres, les dictatures et les catastrophes naturelles.
Un nouveau monde à faire émerger face à ce vieux monde en train de se fissurer et pas qu’en France, qui prend ici la forme d’un soulèvement populaire qui mûrissait et qu’il s’agit, pour le pouvoir, d’essayer d’endiguer sous prétexte de sa spontanéité et de son absence de structures, voire de cohésion.
Ce n’est pas le récupérer que de dire que ses motivations et leur contenu recoupent les aspirations d’autres forces qui se manifestent en ordre dispersé : politiques, syndicales, associatives…sûrement pas de toutes à la fois. C’est, par leurs convergences, donner à ce soulèvement encore plus de force pour que se dessine une alternative politique sur des bases qui refondent nos institutions et toutes nos politiques, dans le sens de rendre le peuple réellement souverain et non plus le jouet des politiciens professionnels au service d’intérêts privés, à commencer par les leurs propres. Nous ne les mettons pas tous dans le même sac.
Cet acte IV de la mobilisation traduit un besoin de reconnaissance des “oubliés de la croissance” à qui on impose l’austérité sans cesse renforcée qui les met dans l’urgence, et parfois aux urgences, ce dont n’avait manifestement pas conscience les “costumes trois pièces” gravitant au sommet de l’Olympe, ne partageant pas du tout les mêmes préoccupations qui hantent le quotidien des gilets jaunes.
Macron parviendra-t-il à entamer leur détermination ? Rien n’est moins sûr.
René Fredon