Le chef de l’Etat a passé toute la journée de samedi au salon de l’agriculture. Il a fait un discours qui sentait la campagne…des européennes et se voulait rassurant sur cette Europe qui serait “l’avenir de notre agriculture” ! Tant “elle assure la souveraineté alimentaire, environnementale et industrielle…de l’UE…” Encore une promesse qui n’engage que ceux qui les croient, disait cyniquement Pasqua. La réalité est tout autre.
Il nous ressert le couplet d’une Europe “protectrice” alors qu’une majorité de nos paysans ne vit plus de sa production ou de son élevage au point d’être poussée à vendre ses terres faute de pouvoir les transmettre, phénomène qui accentue encore la réduction des surfaces cultivées et du nombre de paysans propriétaires de leurs exploitation et des salariés de l’agriculture.
Il n’y a plus que 450 000 exploitations aujourd’hui contre 1 million en 1988. Pour la région PACA, on compte 20 340 exploitations contre 57 160 en 1980. Après la région parisienne, c’est dans le Var et les Alpes martitmes que la surface agricole utile est la plus faible.(1)
Le phénomène n’est pas nouveau mais force est de constater que la concurrence intra-européenne a accéléré le mouvement et va à contre-sens de ce qui nous est promis depuis plus de trente ans par les libéraux de droite et de gauche…à chaque élection.
Notre agriculture nationale a pourtant le potentiel d’assurer notre sécurité alimentaire tout en exportant ses excédents mais les politiques agricoles communes de “libre-échange” n’assurent plus un revenu décent à trop de producteurs et d’éleveurs sous la pression des exigences de marges suffisantes des industriels de l’agro-alimentaires et des grands distributeurs. Les très gros exploitants céréaliers notamment s’en sortent beaucoup mieux et rafflent l’essentiel des aides européennes.
Ce qui ne fait pas baisser les prix pour le consommateur mais élimine les paysans qui ne peuvent plus joindre les deux bouts à force de vendre à perte. En même temps que nous sommes envahis d’aliments “ultratransformés” qui posent partout et d’abord dans les pays industrialisés, un problème de santé publique qui nous éloigne d’une alimentation de qualité, ce à quoi chacun aspire.
Ce productivisme intensif agricole privilégie le rendement financier au détriment de l’emploi et de la qualité de l’environnement car, comme on le sait, à travers le Rundup, désherbant puissant et toxique, les pesticides, en général, sont une menace grandissante pour nos sols donc pour notre santé, pour la bio-diversité, pour tout ce que le vivant respire et mange. Il reste à l’espèce humaine le pouvoir de comprendre la cause de cette financiarisation de toute l’économie…y compris de notre alimentation !
La confédération paysanne -qui a rejoint les gilets jaunes- dénonce cette répartition sélective des aides européennes au profit des exploitations tournées vers le modèle intensif qui peuvent en tirer “plus de 100 000 euros par an, ce qui n’est plus une aide, mais une rente.” Tandis que des fermes optant pour un modèle agroéconomique tirent le diable par la queue.
Trois agriculteurs bio viennent d’assigner l’Etat en justice pour retards de paiement de subventions européennes et ce, depuis trois ans ! Plusieurs dizaines de milliers d’agriculteurs seraient dans ce cas, révèle le président de la fédération nationale de l’agriculture biologique, en pointe dans le Var.
Autre élément corellé à la réduction des terres agricoles utiles, c’est sur le littoral méditerranéen que le prix du foncier agricole est le plus élevé, jusqu’à deux fois et demi le prix moyen en France en 2017 estimé à 5 990 euros/ha (2) il était à 13 210 dans le Var. Dans les Bouches-du-Rhône à 17 700 (terres et prés non bâtis). Le Vaucluse à 14 580 etc…
La tendance générale de désertification de nos campagnes s’est accentuée sur le littoral méditerranéen de manière très volontariste dans les années 1980 comme l’illustre le Var. Les ports de plaisance, les zones d’activités économiques avec leurs très grandes surfaces, l’urbanisation galopante, l’afflux de populations… ont pris la place des cultures maraîchères, fruitières et horticoles, encore très présentes mais réduites.
La volonté politique des élus locaux libéraux devenus majoritaires y a beaucoup contribué depuis qu’un certain président du conseil général (à l’époque) clamait haut et fort qu’il voulait “faire du Var la Californie de l’Europe”. La désindustrialisation était accueillie comme une aubaine. Elle a profondément modifié l’économie, la sociologie et les rapports de forces politiques dans notre département.
Cette domination politique et idéologique au niveau européen est en train de se fissurer, une crise profonde secoue l’Europe gérée par les riches et pour les riches qui tiennent les peuples sous la férule de leurs intérêts égoïstes. Mais les citoyens en prennent de plus en plus conscience. Crise au demeurant mondiale, de grands pays émergents remettant en question le leadership des puissances “occidentales” qui s’efforcent de ne pas renoncer à dicter leur volonté hégémonique aux peuples qu’elles tenaient sous leur influence économique et militaire.
En attendant, les paysans résistent et veulent que leur travail soit respecté. Les plus résolus avancent l’idée qu’on ne pourra pas en finir avec les pesticides si l’on ne remet pas des emplois humains dans nos exploitations agricoles. Les progrès technologiques, mécaniques, numériques existent et ne font pas reculer pour autant les dégâts causés à l’environnement, au contraire. Et la malbouffe prospère toujours.
L’une des premières mesures par exemple-dont Macron n’a pas parlé- serait dans un premier temps, de taxer les importations menaçant notre agriculture et de faire jouer la préférence communautaire… d’en finir avec tous les traités de libre échange, avec l’opacité et l’absence de démocratie qui caractérise l’UE de la technocratie au service des politiques libérales, en finir avec une commission et une banque centrale non élues mais nommées par le pouvoir et qui agissent sans lui rendre de comptes, du moins publiquement…et tant d’autres choses encore.
A l’heure du numérique, alors que l’on craint l’industrialisation du bio, il est réconfortant d’apprendre…le retour des ânes dans les cultures maraîchères “bio”, c’est très sérieux !
En France et ailleurs, il y a des gens têtus qui ont fait de très longues études dans la finance, la gestion, le droit, la communication…ils ne devraient plus pouvoir nous enfumer, ni délivrer des permis de construire dans les zones inondables, ni laisser transformer en friches ou en béton des terres agricoles et espaces naturels.
René Fredon
(2) https://journals.openedition.org/mediterranee/6723