Débat Ukraine Assemblée nationale -Mardi 12 mars 2024 – Intervention Fabien ROUSSEL
Il y a deux ans, quasiment jour pour jour, ici même devant vous, je dénonçais au nom de mon groupe GDR et des députés communistes l’offensive criminelle lancée par le nationaliste Poutine, en violation de toutes les règles du droit international.
Dans ce drame, il y a bien un agresseur, Vladimir Poutine, et un pays en état de légitime défense, l’Ukraine, qu’il faut soutenir. Notre position n’a pas changé depuis. Et sur tous les bancs de l’assemblée, nous sommes d’accord là-dessus.
Oui, il faut donner les moyens à l’Ukraine de se défendre. Nous l’avons fait.
Et je le dis ici au nom de mon groupe: Ce soutien doit se faire dans le strict cadre que nous avons défini au départ.
C’est-à-dire avec des lignes rouges à ne pas franchir. Pour que la France n’entre pas en guerre directe avec la Russie et ses alliés.
Les déclarations va-t-en guerre du président de la République sur l’envoi de troupes françaises en Ukraine, ne mettant aucune limite à notre soutien à ce pays en guerre, et confirmées lors de notre réunion à l’Élysée, ont choqué fortement nos compatriotes.
La perspective de la guerre et son cortège de souffrance sont entrés brutalement en France, dans chaque foyer, dans chaque famille.
La France, je le dis ici avec gravité, a une autre voix à porter que celle de la guerre, quand celle-ci a déjà provoqué la mort d’un demi-million de personnes et semé le chaos aux portes de l’Europe.
C’est une véritable boucherie. Au nom de l’humanité, nous devons tout mettre en œuvre pour qu’elle s’arrête au plus vite ! Dans quelques semaines, nous allons célébrer le 80e anniversaire du Débarquement. Notre pays, avec d’autres, a subi dans sa chair le martyr de deux conflits mondiaux, au 20e siècle, soldés par des dizaines de millions de morts.
Notre responsabilité vis-à-vis des jeunes générations est plus lourde que jamais. Pendant des décennies, nous leur avons promis, haut et fort : « Plus jamais ça ».
N’oublions jamais cet engagement, celui sur lequel précisément est née l’Union européenne.
Rien ne justifie que nous lancions notre jeunesse dans une nouvelle folie meurtrière, placée de surcroît sous la menace du feu nucléaire.
Voulons nous la destruction de notre civilisation ? Car c’est bien de cela dont il s’agit quand nous entrons dans une escalade guerrière dont nul ne peut prétendre maîtriser tous les ressorts.
Tout doit être fait pour éviter une telle escalade. Et ce n’est pas l’accord que vous venez de signer le 16 février avec l’Ukraine qui peut nous conduire vers l’apaisement. Au contraire, il risque de nous entraîner encore plus dans le conflit.
Il prévoit en effet l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’OTAN. Nous y sommes opposés car cette question figurera en tête des négociations à venir entre les belligérants.
J’ajoute que l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne va mettre à mal notre agriculture, notre industrie en provoquant un dumping social que les Français rejettent massivement. Comme eux, nous rejetons cette idée.
Tout aussi préoccupante est le volet « coopération militaire de défense », qui est qualifié de « non exhaustifs ». C’est-à-dire sans limites. Comment peut-on ainsi signer un chèque en blanc avec un état en guerre ?
Mes chers collègues, nous le savons tous ici : un jour, nécessairement, des négociations auront lieu, le Président l’a dit lui-même lors de notre échange jeudi dernier.
Mais alors ne perdons pas une minute ! car chaque heure, chaque jour, chaque semaine apporte sont lot de morts et de destructions.
Puisque l’issue est connue, pourquoi attendre des centaines de milliers de morts supplémentaires avant de mettre un terme au conflit ?
Notre seule obsession doit être de tout mettre en œuvre pour trouver les chemins d’un cessez-le-feu, d’une négociation garantissant la sécurité collective des pays d’Europe, de l’Atlantique à l’Oural.
Toutes les voies diplomatiques n’ont pas été exploitées, loin de là. La Chine, le Brésil, l’Inde ou encore l’Afrique du Sud ont déjà fait des propositions.
Vendredi, le président Erdogan indiquait que la Turquie était prête à accueillir un sommet Russie-Ukraine. La Russie elle-même se dit prête à un cessez-le-feu, comme nous l’a indiqué le président de la République. La diplomatie, ce n’est pas de savoir discuter uniquement avec ses amis. C’est aussi avoir le courage de chercher des solutions politiques plutôt que de bomber le torse et d’endosser ses habits militaires !
Enfin, oeuvrer à une issue diplomatique et rapide à la guerre n’est pas faire injure à l’Ukraine. Le peuple ukrainien, lui aussi, aspire à la paix, à la sécurité. Garantissons-lui d’être à ses côtés, de faire respecter sa souveraineté comme les résolutions de l’ONU, sous l’égide de l’ONU et si besoin de casques bleus, comme l’histoire l’a déjà fait.
Pour y travailler, nous appelons à la mise en place d’une conférence sur la sécurité collective des pays européens. Ce n’est bien sûr pas à nous de proposer des solutions précises, elles émergeront dans le cadre d’une négociation durant laquelle tous les éléments devront être mis sur la table.
Oui, la France a une voix forte à porter. J’ajouterai ici que la crédibilité de la France comme de l’Union européenne est aussi liée à nos actes concernant la Palestine.
Car il ne peut y avoir deux poids et deux mesures en matière de droit international, de respect des résolutions de l’ONU et dans la dénonciation des crimes, comme celui subi par le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie.
Que la France reconnaisse la Palestine dans ses frontières de 1967, comme me l’a encore demandé le Premier ministre palestinien rencontré mardi dernier, serait un acte politique fort qui entraînerait d’autres pays dans ce choix.
Concernant l’aide à l’Ukraine: Oui la France doit encore aider l’Ukraine. Mais pas seulement en lui donnant des armes. Je pense notamment à l’aide financière que l’Union européenne apporte. Là-aussi, quelle hypocrisie ! L’aide d’un montant de 18 milliards d’euros annoncée par l’Union européenne en novembre 2022 est en réalité un cadeau empoisonné, puisqu’elle est versée sous forme de prêts à rembourser avec intérêts !
Vous ne pouvez pas vous empêcher d’être libéral et de vouloir gagner de l’argent sur leur dos.
Pour nous, aider l’Ukraine, c’est prêter à taux 0% et ce ne pas contribuer à un endettement ravageur. Au bout du compte, ce sont les travailleurs ukrainiens qui paieront l’addition, avec des salaires en baisse, une précarisation des conditions de travail, des services publics démantelés…Le peuple est toujours en première ligne lorsque gronde le fracas de la guerre. C’est pourquoi nous devons tout faire pour l’éteindre.
C’est encore possible et nous, députés GDR et communistes, ne cesserons jamais d‘œuvrer pour empêcher la guerre totale, généralisée.
Le 21ème siècle ne doit pas être celui d’une troisième guerre mondiale. Jusqu’à la dernière minute, nous nous y engagerons.
Dans le dernier discours de sa vie, prononcé le 25 juillet 1914 à Lyon, cinq jours avant d’être assassiné, Jean Jaurès y croyait encore et disait :« J’espère encore, malgré tout qu’en raison de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne. »
Comme lui, nous appelons le gouvernement à se ressaisir. Voilà pourquoi nous nous prononçons, à l’unanimité de notre groupe, contre cet accord, qui nous engage pour dix ans, avec des objectifs imprécis et dans des termes flous. Un accord, qui ne trace aucune ligne rouge, aucune perspective de paix et participe à l’escalade militaire.
Le vote d’aujourd’hui sera inscrit dans l’histoire car il peut précipiter notre pays dans la guerre.
Encore une fois, malheureusement, une grande majorité de députés s’apprête à voter pour, alors qu’une grande majorité de Français sont contre. Fidèles à leurs convictions, les communistes français porteront la voix de la paix jusqu’au bout, dans cette Assemblée comme dans tout le pays.