A un mois des municipales et dans la perspective des présidentielles, Macron dont la popularité s’effrite face à un mouvement social très majoritaire pour le retrait de son projet effaçant notre système solidaire de retraites, cherche à reprendre la main en agitant la question identiraire et sécuritaire que ferait peser l’islam.
Il vient de lancer un message à l’électorat de droite et plus encore à celui du RN qui pilonne sur le thème de l’islamisation de notre pays et de l’Europe comme danger majeur qui conduirait au “grand remplacement“. Induisant que les musulmans, bien que citoyens français, constitueraient une menace, par leur porosité supposée au terrorisme et au séparatisme d’une infime minorité ?
Si le chef de l’Etat avait voulu rendre encore plus difficile la cohésion sociale dans les cités où ont été concentrées les familles devenues françaises depuis plusieurs générations, en grande partie de confession musulmane, il n’aurait pas mieux réussi.
Refuser la prolifération de l’islam radical opposant religion et République laïque, à plus forte raison “terrorisme islamiste”, est une chose, faire un amalgame avec toute une communauté religieuse ne peut qu’être contre-productif et lourd de dangers.
Macron en fait une statégie électorale lui permettant d’éviter de se pencher sur les échecs successifs de la politique de la ville et sur sa politique tout court qui fait des ravages sociaux encore plus sensibles parmi ces populations cumulant bien des handicaps et où se développent des inégalités flagrantes.
Elles tendent à s’aggraver, que ce soit pour l’égalité de traitement pour accéder à un emploi ou à un logement dans nos quartiers populaires où l’on constate une dégradation des conditions de vie, un taux de pauvreté considérable, sur fond de trafic de drogue générant violences et insécurité.
Le racisme islamophobe sert de moteur à la montée de l’extrême-droite en Europe, à commencer par l’Allemagne où elle a fait son retour au Bundestag (90 sièges à l’AfD, “Alternative pour l’Allemagne”) depuis la capitulation nazie. Sur fond de violences racistes, de refus des migrants, d’hostilité à l’islam et à ceux qui le pratiquent. Jusqu’à la nostalgie du régime nazi. Un de leurs dirigeants parlant récemment “de honte” à propos du mémorial de Berlin dédié à l’holocauste des juifs !
L’élection récente d’un président libéral-démocrate par les voix de la droite et de l’extrême-droite à la présidence du Land de Thuringe (ex-RDA) pour battre le sortant de gauche, est une première en Allemagne depuis 1949. Entraînant un séisme politique qui fragilise Merkel et la CDU au point que sa dauphine désignée pour lui succéder a renoncé à sa mission. De même le président élu en Thuringe a préféré démissionner.
Le tout dans un contexte économique très inquiétant pour la “locomotive” de l’Union européenne bien mal en point par ailleurs.Les violences racistes se sont traduites, ces derniers jours, près de Francfort, par le massacre d’au moins neuf immigrés Turcs et Kurdes par un fanatique d’extrême-droite justifiant son crime sur internet avant de se donner la mort à son domicile, aux côtés du cadavre de sa mère.
Le terrorisme n’est pas que l’apanage d’islamistes fanatisés qui détournent l’islam pour leurs objectifs politiques, en Europe des fanatiques se réclament de “l’occident chrétien”et se considèrent en guerre contre les “envahisseurs”! La religion catholique n’est pas en cause.
Qui sont les séparatistes ?
Dans son livre “L’archipel français “, Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion de l’IFOP parle de “séssession d’une partie des élites entrée dans une logique d’autonomisation vis-à-vis du reste de la société. Les modes de vie sous l’effet du marché ont été segmentés. Cela s’est accéléré du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui.(1)
Il y a dans les grandes villes un ensemble de processus qui participent à cette non-mixité : la courbe des prix de l’immobilier, les choix de certains élus de tout faire pour ne pas construire de logements sociaux, les contournements de la carte scolaire, les choix des langues à l’école, l’introduction des années de césure dans les cursus sélectifs…L’univers de référence de ces élites est devenu post-national…Le stade ultime de la sessession c’est l’exil fiscal, c’est-à-dire la sortie de la communauté nationale, au sens physique du terme, en vertu de la maximisation du profit…”
Il suffit de lire les programmes des candidats de droite et d’extrême-droite dans le Var et ailleurs pour se convaincre de la pertinence de ces observations. Jérôme Fourquet ne nie pas la diffusion dans les quartiers populaires de ces ferments d’un ordre parallèle et qui se veut “supérieur” aux lois de la République, aux effets limités mais qui ne sauraient être tolérés et minimisés.
Cette réalité ne doit pas occulter que cette même République -ni sociale, ni démocratique-construit une société à deux vitesses dans laquelle des élites privilégiées pratiquent une autre forme de séparatisme : le séparatisme fiscal et social.
Une élite sociale a le droit de dissimuler au fisc une partie de ses revenus colossaux au détriment de toute la communauté nationale ainsi profondément divisée, non pas par les immigrés et les migrants mais par la domination sans partage de la finance, autrement dit du système capitaliste qui détruit les solidarités humaines et épuise la planète elle-même à une vitesse largement sous-estimée par les mêmes élites au pouvoir.
Ainsi un gouvernement ultra-minoritaire dans l’opinion s’arroge le droit de persister à imposer un projet de réforme impopulaire et très “lacunaire” selon le Conseil d’Etat. Tout en refusant de consulter la nation, traversée par un mouvement social puissant depuis plus de trois mois ! Pourquoi cette peur d’interroger le peuple ?
Macron peut toujours tenter de rassurer les musulmans, ce n’est pas en supprimant l’enseignement de l’Arabe et la formation des professeurs nécessaires sous prétexte que l’éducation nationale n’a pas le contrôle de tous les intervenants et des contenus, que la confiance va se rétablir. C’est l’aveu d’un échec de plus. Touchant les couches sociales les plus fragilisées et les plus stigmatisées.
Le RN en redemande, il trouve que ça va dans le bon sens (le leur) mais que ça ne fait pas le compte, bien entendu ! Autrement dit : “Merci Macron, tu reconnais qu’on a raison mais tu es trop timide !”
Telle est la stratégie sous-jacente de cette déclaration, à mi-mandat : Macron a tout intérêt à ce que le RN passe pour sa principale opposition, si l’on peut dire. Car comme en 2017, il pourra se présenter en rempart de la menace extrêmiste fascisante qui lorgne du côté de Trump, leader des nationalismes ultra-conservateurs qui prospèrent sur la crise mondiale des politiques libérales qu’ils imposent à leurs peuples. Ils ne veulent pas la combattre mais la renforcer pour ne pas en perdre le leader-ship.
Tel est le piège qu’il met en place sous nos yeux et qui ne relève pas de la parano. Macron n’est pas le moindre mal, ce qu’il cherche à induire…ce qu’il veut c’est que rien ne change. C’est un politicien à l’ancienne.
Encore faut-il qu’à gauche et chez les écologistes tout le monde soit acquis à l’idée que c’est le libéralisme lui-même -et non ses excès- qui est la cause de l’état du monde aujourd’hui, de l’insécurité qui y règne sur tous les plans, social et écologique. La course au sur-armement nucléaire n’étant pas la moindre.
L’alternative progressiste existe…pourvu que le peuple s’en mêle.
René Fredon
(1) interwiev de Jérôme Fourquet -l’Humanité du 19 février 2020
“L’archipel français” (Ed Seuil)